L’enfer syrien, vu de l’intérieur et de l’extérieur, par deux cinéastes et des anonymes. Fulgurant.
Ce film est à la fois une caresse et un violent coup de latte au plexus. Il réunit le pire et le meilleur de l’humanité. Présenté à Cannes, diffusé par Arte en septembre, coréalisé par Ossama Mohammed (cinéaste syrien exilé à Paris), Wiam Simav Bedirxan (cinéaste kurde habitant Homs) et mille et un youtubeurs syriens (vivant, souffrant et crevant en Syrie), Eau argentée sidère par la brutalité de son matériau documentaire et la puissance inspirée de sa mise en forme.
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Côté horreur, c’est une plongée dans l’enfer syrien par le biais de snuff iPhone movies documentant la situation de l’intérieur, guirlande de témoignages d’urgence à la limite du soutenable : quidams flingués en direct, enfants suppliciés, bébés morts, ados torturés, visages défigurés, corps estropiés, mares de sang. Tel est le résultat monstrueux de la politique de Bachar al-Assad et de la préemption de la révolution citoyenne
par Daech : 200 000 morts, des millions de réfugiés, 9 000 décès de mineurs, une litanie d’atrocités, cinquante fois l’Ukraine, cent fois Gaza, mille fois Abou Ghraib dans l’indifférence de l’opinion publique et l’impuissance de la supposée “communauté internationale”. Syrie, chierie : à hurler en silence, à s’étrangler de honte.
Mais la beauté du film est de parvenir à opposer des images et des mots à ce bourbier sanglant qui coupe la voix et fait baisser le regard. Résistance dérisoire mais pourtant essentielle. A la fois protégé et culpabilisé par son exil, Ossama Mohammed coupe les images d’horreur avant qu’on ne risque d’en jouir (montage, son beau souci), filme avec une grâce poétique abstraite digne d’Alain Cavalier des détails de son environnement parisien : goutte d’eau, pigeons sur un toit, striures d’escalator… Surtout, il correspond avec l’extraordinaire Wiam Simav Bedirxan, restée dans les ruines d’Homs, filmant chaque jour son quartier dévasté, les survivants, un enfant orphelin mais paradoxalement joyeux qui déniche un coquelicot au milieu des gravats.
Caméra résistante. Elle là-bas, lui ici. Dialogue de cinéma via internet, Skype, YouTube. Eau argentée, machine dialectique multiple : homme-femme, paroles-images, rouge sang-rouge fleur, Paris-Homs, Syrie-reste du monde, exilé extérieur-exilée intérieure, mort-poésie, ciel-enfer… Ossama Mohammed cite à un moment Resnais. Eau argentée aurait pu s’intituler La Mort aux trousses, ou Sauve qui peut (la vie), mais la référence à Hiroshima mon amour sonne juste. Syrie mon amour. Tu n’as rien vu à Homs.
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