Peter Fonda, star d' »Easy Rider », vient de mourir à 79 ans. Point d’orgue du Nouvel Hollywood, le film de Dennis Hopper est aussi le chant du cygne, barré et sublime, des utopies des sixties.
Que dire qui n’ait déjà été écrit au sujet du film mythique de Dennis Hopper, devenu l’emblème de toute une génération ? Rappelons d’abord quelques faits instructifs : l’épopée des deux motards rebelles dans l’Ouest américain fut tournée avec trois bouts de ficelle dans des conditions chaotiques, amplifiées par la consommation revendiquée de stupéfiants. S’il n’est pas le premier road-movie comme on a tendance à le croire, il fut répertorié au National Film Registry en 1998 pour son “apport significatif au cinéma américain et à la culture des Etats-Unis”.
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Hopper se fâcha avec tout le monde sur le tournage, à commencer par son “partner in crime” Peter Fonda, qui le décrivit comme un “petit cinglé fasciste”. Citons l’accusé, qui déclarait à Entertainment Weekly en 2005 à propos de son film et de ses motivations.
“On avait traversé toutes les années 1960 et personne n’avait fait de film où, quand quelqu’un avait fumé un joint d’herbe, il n’allait pas tuer une poignée d’infirmières. Je voulais que Easy Rider soit une capsule temporelle pour les gens de cette époque.”
L’hymne “Born to Be Wild” pour l’éternité
Il captura son époque mieux que toute autre production du Nouvel Hollywood, et cette chevauchée d’Hopper-Fonda-Nicholson n’a pas pris une ride, comme le montre le succès que le film rencontra à sa ressortie en 2002. Il reste aujourd’hui l’objet d’un véritable culte : en témoignent les tenues excentriques de ces motards qu’on peut toujours voir arborées fièrement par des bikers outre-Atlantique. La bande originale y est pour beaucoup, elle qui immortalisa l’hymne de Steppenwolf Born to Be Wild, né pour être sauvage.
Il faut revoir ce film, oublier ce que l’on croit savoir à son sujet. Loin de l’idéal hippie Flower Power auquel il est souvent associé, c’est au contraire un pessimisme sombre qui le caractérise dès l’ouverture, avec ces regards méfiants, presque hostiles, portés sur les deux gringos Hopper-Fonda par ces Mexicains qu’ils viennent trouver dans ce que l’on imagine être une banlieue de Los Angeles, pour y chercher de la drogue. Non pas pour “ouvrir les portes de la perception”, comme le suggérait Timothy Leary, mais pour l’acheter puis la revendre.
Dealer leur permettra de financer leur périple, de Los Angeles à La Nouvelle-Orléans. Leur seul idéal au fond est la liberté à tout prix, comme le montre le plan suivant, où on les retrouve sur leurs bécanes flambant neuves. Avant de démarrer, Fonda jette sa montre par terre, signifiant par là qu’il s’émancipe du temps et de toute contrainte.
Une audace formelle inouïe
“Aux Etats-Unis, l’espace est la limite visible du temps”, dit joliment le critique Jean-Baptiste Thoret à ce propos, dans une conférence passionnante qu’il donna sur le film à la Cinémathèque française, et dont on recommande le podcast vidéo. L’immensité devant eux, la route droite et l’emplacement du soleil dans le ciel toujours bleu leur suffiront pour se repérer.
Il faut aussi évoquer l’audace formelle inouïe de ce film, du cadrage (la photo de László Kovács) au montage (ces plans qui se chevauchent en une temporalité singulière), dont les fameuses scènes psychédéliques barrées dans le cimetière de La Nouvelle-Orléans constituent l’apothéose. On peut enfin voir Easy Rider comme le chant du cygne de l’idéal soixante-huitard, le passage brutal du rêve des sixties au désenchantement de 1969.
La possibilité plusieurs fois évoquée, recherchée, d’une alternative possible à la société de consommation, symbolisée par la communauté hippie dans laquelle nos deux héros échouent quelque temps, est balayée par l’assassinat sauvage, en pleine nuit, du personnage joué par Jack Nicholson par des paysans haineux.
Telle est aussi l’actualité brûlante de ce film, ce fossé qui sépare nos hipsters urbains du reste du pays, cette Americana des paysans et des cowboys, religieuse, conservatrice, qui les déteste et finira par les détruire. Comme si Hopper avait pressenti, cinquante ans à l’avance, le triomphe de l’Amérique de Trump, sa revanche sur l’autre moitié du pays.
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