La saga de Villeneuve bande ses muscles dans un second volet aussi poseur que flamboyant, qui déploie avec plus d’envergure le grand style herbertien et n’est pas loin de s’être trouvé une âme.
Suite, peut-être fin (sans doute pas). En cas de carton, ce que les systèmes de préventes ont d’ores et déjà prophétisé, Dune serait finalement une trilogie, agrémentée des péripéties de la première suite (Le Messie de Dune) écrite par Frank Herbert.
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Le premier film avait à la fois impressionné et, par son action relativement restreinte, laissé sur leur faim les amateur·rices de grand dépaysement sci-fi. Cette continuité vient d’abord déployer bien plus généreusement l’envergure et la texture singulière de la saga herbertienne – une mixture de space opera unique, frappant surtout l’esprit par un effet d’altérité absolue, piquée ici et là de références politiques et religieuses familières, comme le djihad ou la noblesse féodale, et dont Villeneuve retranscrit avec une maestria indéniable ce sentiment d’un monde vertigineusement autre.
Contrairement, par exemple, à un J. J. Abrams, qui s’était très personnellement emparé des vieux légendaires SF dont il s’était targué de faire rugir à nouveau le moteur (Star Trek, Star Wars) – injectant à l’intérieur de la fiction ses propres schémas d’héritier tourmenté et turbulent –, c’est avec une incomparable humilité, somme toute très canadienne, que le Québécois s’est appliqué à adapter de son côté Blade Runner, puis Dune. Aux films qui en ont découlé, l’on a assez unanimement prêté les mêmes qualités et le même défaut : la perfection maniaque de leur direction artistique, et l’impression tenace que seul un robot saurait se hisser à ce degré de sophistication.
Ses films seraient aussi supérieurement ingéniérés que dépourvus d’âme. Constat ironique, tant les œuvres adaptées sont structurées par la ségrégation de ces deux principes de l’intelligence : la première, une parabole sur l’âme de la machine et les rêves des androïdes ; la seconde, un univers dont la condition fondatrice est l’abolition des machines pensantes.
Une aventure intérieure
Dans Dune, l’humanité conquérante des étoiles s’est d’abord affranchie de l’ordinateur, retrouvant le spirituel et atteignant là un stade de cérébralité qui captive à jeu égal avec l’épopée cosmique – la saga de Paul Atréides est avant tout une aventure intérieure, tramée de télépathie, de visions prescientes, de rêves, et ce n’est d’ailleurs par pour rien si elle a, avant Villeneuve, attiré des artistes chamanes : Jodorowsky, Moebius, Dalì, Lynch, etc.
Arrivé à leur suite comme une espèce d’intrus cartésien, purement matérialiste, totalement étranger à l’ésotérisme, Villeneuve a d’abord semblé s’intéresser uniquement à l’angle de la parabole politique : une métaphore capitaliste, coloniale et environnementale qui structurait le premier volet, avec Arrakis en avatar d’un Proche-Orient en proie aux convoitises impérialistes, et une Épice-pétrole pratiquement débarrassée de sa dimension psychédélique.
Dans cette suite, si l’apologue se prolonge, c’est au fait religieux qu’il vient se nouer. Paul, miraculé du raid Harkonnen, réfugié chez les rebelles Fremen, se révèle en leader résistant, auquel viennent bientôt prêter une dimension messianique les esprits les plus fervents.
Un acte de foi
Mais si le film s’emploie d’abord à la critiquer, voire à la moquer – déroulant un entrelacs de calculs politiques consistant à instrumentaliser la figure du faux prophète dans des stratégies purement militaires –, il est surtout frappant de constater de quelle manière il passe, à mi-chemin, du scepticisme à la croyance, semblant quelque part vouloir régler les complexes villeneuviens.
Manière de surpasser un autre réalisateur auquel on compare souvent le cinéaste : Christopher Nolan, dont il partage une esthétique brutaliste de béton et de drones – jouant d’ailleurs contre lui un match à distance, les chiffres de Dune étant d’ores et déjà comparés, sans aucune justification thématique, à ceux d’Oppenheimer.
Or, là où Nolan, non sans les qualités qu’on lui reconnaîtra volontiers, semble de plus en plus faire léviter ses films dans une surconscience d’eux-mêmes qui les confond avec leur propre bande annonce, et une adresse crâneuse à un·e spectateur·rice qu’ils s’échinent à convaincre de leur intelligence, Villeneuve fait exactement l’inverse : il abandonne son intelligence au profit d’un acte de foi. Sa plongée à corps perdu dans la dimension messianique de Muad’Dib a ceci de touchant qu’elle semble vouloir faire à nouveau résonner l’évangile de la fiction : sans ironie, sans détachement, sans surplomb, sans cynisme, nous croyons à nouveau en une histoire.
Sans doute la clé de la réussite de ce blockbuster, non sans paradoxes, évidemment décoratif, voire terminalement poseur – où même, d’une certaine manière, les costumes ont pris le dessus sur les interprètes –, et en même temps, tout entier dévolu à la conquête de quelque chose qu’il serait digne d’appeler son âme.
Dune : Deuxième Partie, de Denis Villeneuve, avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson. En salle le 28 février
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