Ça y est, “Dune : Deuxième Partie” sort enfin dans les salles ! L’heure est donc venue de juger dans son ensemble le diptyque de Denis Villeneuve ainsi que sa fidélité au roman-fleuve de Frank Herbert. Si son amour pour le texte se ressent dans chaque plan, le cinéaste a tout de même dû se résoudre à quelques concessions… La preuve en sept points clés. Attention, spoilers !
1. La place de la politique
La différence formelle la plus flagrante que l’on puisse relever entre le roman et les deux films concerne sans doute les interactions politiques entre les personnages, voire les interactions tout court. Dune le roman est profondément bavard, Dune l’adaptation est fondamentalement silencieuse. Là où Herbert échafaudait son univers au rythme de joutes verbales, parfois digressives, entre des personnages suprêmement intelligents, Villeneuve choisit le crucial, supprime certaines grandes scènes politiques et réduit la plupart des dialogues à leur propos quintessentiel (l’échange entre la Révérende Mère et Jessica quant à la messianité de Paul, à peu près toutes les apparitions du Baron…). Un choix qui n’en a sans doute pas vraiment été un, tant la densité narrative des 800 pages de Dune nécessiterait plutôt une saison de dix épisodes pour être fidèlement retranscrite. Mais rappelons aussi qu’une saison de dix épisodes, ça ne se filme (et ça ne se regarde) pas en IMAX 70mm !
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2. La presque absence des Mentats…
Parmi les corporations les plus puissantes et importantes de l’univers de Dune figurent les Mentats, “ordinateurs humains” ayant remplacé toutes les formes d’intelligences artificielles après la guerre livrée par l’humanité contre les machines pensantes. Les Mentats sont repérés très jeunes pour leurs capacités de calcul hors normes, puis formés, et deviennent plus tard des conseillers privilégiés des Grandes Maisons. C’est une facette de la narration qui permet à Herbert de mettre en scène de palpitants duels d’esprits, mais que Denis Villeneuve a choisi de quasiment passer sous silence – le mot “Mentat” n’est d’ailleurs jamais prononcé dans le diptyque –, sans doute pour renforcer l’impact de la sororité de l’ordre du Bene Gesserit, très présent et développé, et lui accorder une forme de monopole sur les pouvoirs psychiques qui régissent, dans l’ombre, l’univers de Dune.
3. …et des navigateur·rices de la Guilde
Si l’Épice est tant convoitée partout à travers l’Empire, c’est parce qu’elle est la seule substance capable de plonger les navigateur·rices de la Guilde dans la transe qui leur permet de trouver les meilleures trajectoires pour le voyage interstellaire. Mais pour qui n’aura pas lu le roman de Herbert ou vu le film de David Lynch, ces fameux·ses navigateur·rices demeurent un mystère à l’issue des deux films de Villeneuve. Ce sont pourtant de fascinantes créatures mutantes (sortes d’humanoïdes batraciens vivant dans des cuves), qui auraient pu se révéler un formidable terrain de mise en scène pour le réalisateur de Premier Contact. Peut-être les garde-t-il pour Dune: Messiah ?
4. Le personnage d’Alia Atréides
La plus grande liberté prise par Villeneuve concerne pour sûr le sort réservé à Alia Atréides, petite sœur de Paul. Ce n’est pas une surprise : ce personnage, fondamentalement littéraire, est sans doute impossible à incarner fidèlement (et sans ridicule) à l’écran. Dans le roman, Alia est un bébé qui, par un procédé psychique dont nous vous passerons les détails, se trouve être une Révérende Mère dont l’esprit a traversé les siècles et qui possède un nombre infini de connaissances. Un décalage corps-conscience vertigineux dans le roman, mais qui ne saurait que difficilement être restitué à l’écran – on se souvient de Renesmée, le bébé numérique de Twilight : Chapitre V, qui témoignait, en 2012, du casse-tête que représente la mise en images d’un nourrisson surhumain.
Ainsi, contrairement au film de Lynch – où Alia est plutôt une fillette de 6 ou 7 ans –, Villeneuve a choisi de ne simplement pas faire naître l’enfant, et de voir en elle un prolongement de l’esprit et du corps de Jessica, avec laquelle, encore fœtus, elle interagit. Ses gestes phares ont donc échu, dans le film, soit à sa mère, soit à son frère ; et elle n’apparaît physiquement que dans une vision de ce dernier, à l’âge adulte, sous les traits d’Anya Taylor-Joy.
5. L’importance de Chani
Parmi les ambitions de Villeneuve, on compte celle d’épaissir au maximum le personnage de Chani (Zendaya). Elle n’est plus explicitement la fille de Liet Kynes, ni une figure pleinement dévouée à Paul et sa messianité, mais une guerrière Fremen indépendante et plutôt hostile au fanatisme religieux dont Paul fait l’objet – l’amour qu’elle éprouve pour l’homme se heurtant ainsi à la défiance qu’elle a pour le chef de guerre. Une relation amoureuse complexe et somme toute surprenante pour un blockbuster de cette envergure, renforcée par la suppression du personnage de Harah, épouse/servante “offerte” à Paul dans le roman pour avoir vaincu en duel son ancien mari, Jamis, lequel l’avait lui-même “gagnée” lors d’un précédent combat.
6. Le changement de genre de Shishakli
Comme il l’a fait dans la première partie avec la planétologiste Liet Kynes (un homme dans le roman, une femme dans le film), Denis Villeneuve s’est doté d’un personnage féminin supplémentaire dans ce deuxième volet en faisant de Shishakli – simple figurant masculin du roman, qui donne ses hameçons à Paul le jour où il chevauche un ver de sable pour la première fois – une redoutable guerrière Fremen amie avec Chani. Ce personnage inattendu s’offre ainsi un véritable arc narratif et révèle à l’international la magnétique Souheila Yacoub.
7. L’absence de Leto-fils
La dernière différence notable – même s’il y en a d’autres, comme la non-présence du comte Hasimir Fenring par exemple – est l’absence de Leto Atréides, le premier fils de Paul et Chani. Dans le roman, celui-ci meurt pendant l’attaque du Sietch Tabr, attaque filmée avec beaucoup d’intensité par Villeneuve, mais laissée “hors-champ” par Herbert, lequel nous fait plutôt épouser le point de vue de Paul, qui apprend la nouvelle par un simple message. Villeneuve a sûrement pris cette décision pour conserver jusqu’au bout le deuil de Leto-père comme unique moteur de la vengeance de Muad’Dib.
Dune : Deuxième Partie, de Denis Villeneuve, avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson, en salle le 28 février.
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