On a découvert sa tronche et son talent dans « Un prophète », il a joué depuis dans « Rengaine », « Only lovers left alive » ou « Les Derniers Parisiens ». Dans « Indigène de la nation », il raconte sa vie d’acteur tardif et de titi parigot d’origine algérienne à qui les autorités françaises n’ont toujours pas accordé la nationalité.
Il a seulement deux scènes dans Un prophète de Jacques Audiard, mais inoubliables. Slimane Dazi y était Brahim Lattrache, le gangster patibulaire qui reçoit Tahar Rahim à Marseille. Tronche de cinoche, présence intense, jeu découpé au scalpel, crédibilité gangsta maximale : cette apparition Dazi/Lattrache est devenue instantanément aussi culte que celle de De Niro face à son miroir dans Taxi Driver.
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A cinquante piges passées, c’était le tout premier rôle de Slimane Dazi, que l’on a revu depuis dans Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch (il est le tenancier du bar de Tanger où se retrouvent Tilda Swinton et John Hurt), Rengaine de Rachid Djaïdani (il joue le grand frère psychorigide d’un large fratrie), D’une pierre deux coups de Fejria Deliba (autre grand frère dans ce Sur la route de Madison des cités franco-maghrébines) ou encore Les Derniers Parisiens de Hamé et Ekoué (où il joue encore un grand frère, sérieux, rangé, intégré, qui aime la bonne bouffe et le vin naturel).
On avait interviewé Slimane Dazi à l’occasion de ce film-là, et en lisant son autobiographie qui paraît ces jours-ci (Indigène de la nation, aux éditions Don Quichotte), on est bouleversé d’apprendre que le soir-même de cette rencontre (et d’une journée promo qui fut sans doute trop éreintante), l’acteur fut victime d’un infarctus où il faillit laisser sa peau. D’où peut-être l’urgence pour lui d’écrire son histoire.
La carte (d’identité) et le territoire
Cette histoire, c’est aussi un peu celle de tous les Français d’origine algérienne de sa génération, nés en France avant 1963 et l’indépendance de l’Algérie : une vie schizophrénique, kafkaïenne, pour ces êtres élevés, grandis et vivant en France, mais portant passeport algérien et se heurtant aux réticences politico-administratives pour obtenir leur nationalité française.
Dazi raconte avec colère et tristesse comment ce passeport algérien entrave ses déplacements professionnels ou d’agrément, comment l’état d’urgence a encore plus compliqué les choses, lui faisant louper des festivals, des invitations où il doit recevoir un prix, des répétitions pour une série américaine (Dawn, sur la préhistoire). Comme des milliers de Français suspectés en raison de leurs origines, Dazi n’a pourtant rien d’un danger potentiel pour la nation, lui qui est aussi un vrai titi parigot, un acteur remarquable et régulièrement sollicité, un bistronome émérite amateur de bonne graille et de bons flacons de petits propriétaires, exactement comme son personnage des Derniers Parisiens.
Indigène de Paname
Si sa carrière de comédien et son problème de passeport sont les fils rouges du bouquin, Slimane Dazi raconte aussi avec simplicité et bonheur d’écriture (l’argot titi s’y épanouit) sa vie d’indigène de Paname, de Français aux racines plongeant dans l’Atlas oranais. Tout un monde, toute une époque défilent, des bidonvilles de Nanterre aux modestes pavillons banlieusards ouvriers, de la mixité ethnico-sociale qui fonctionnait bien dans les années soixante-dix (en tous cas, mieux que maintenant) aux vacances au bled et à la découverte du pays des darons, de sa langue, de ses paysages westerniens, de la difficulté d’assumer le fameux rôle de « grand frère » quand on est coincé entre une grande sœur brillante et un petit frère chouchouté à l’admiration des femmes qui commence par celle de sa propre mère, des mille petits boulots et combines jusqu’au métier de « ventouseur » – la ventouse est l’art de dénicher et réserver des lieux de tournage de film.
Ce qui ressort de cette bio romanesque et politique qui se dévore comme un roman d’Alphonse Boudard ou d’Albert Simonin, c’est que si Slimane Dazi est toujours administrativement un « indigène de la nation », il est surtout et fondamentalement un Parisien pur jus de pavé, un poulbot descendant autant de Gavroche que de la région oranaise, un gars qui semble issu d’un de ces films en noir et blanc avec Gabin, Arletty ou Lino Ventura, qui incarnait le Paris populaire désormais en voie d’extinction ou de relégation vers les banlieues de plus en plus lointaines (le titre du film d’Hamé et Ekoué est à prendre au pied de la lettre).
Dazi est aussi un super acteur à qui on souhaite de beaux rôles, des papiers français et la vie la plus longue maintenant qu’il semble bien remis de son infarctus. Son histoire qui est aussi celle de notre pays, la France, nous aide à comprendre ses fractures actuelles et à réaliser qu’elles ne sont pas irrémédiables.
Indigène de la nation de Slimane Dazi, 256 p, 18 € (Don Quichotte)
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