Demain sortent conjointement les nouveaux films de Clint Eastwood et de Claude Chabrol. Sur le ring, deux poids lourds attachés dans leur dernier film à une obsession commune, l’usure du corps – celui de Depardieu et celui d’Eastwood, entre autres. Analyse d’un duel au sommet.
L’actualité fait se croiser les nouvelles productions de deux grands cinéastes : Chabrol et Eastwood. Le Français qui a prouvé à la face du monde que le cinéma américain pensait (Hitchcock, etc.). L’Américain qui dut tourner en Espagne avec un Italien des westerns iconoclastes pour devenir, la maturité venant, le symbole même de l’Amérique.
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Les deux hommes sont presque octogénaires aussi. Et leurs films parlent de ça. Dans Bellamy, Chabrol filme le corps au ralenti de Gérard Depardieu, son encombrement, sa façon de monter des escaliers en s’essoufflant. Arrivé en haut, il halète et le film réussit des trouées non-narratives très fortes en épousant les pulsations de cet organisme fatigué. La question de l’usure du corps avait rarement été aussi centrale dans le cinéma de Chabrol et Bellamy est un film d’une grande intimité – sur le couple, l’angoisse de la retraite, les rituels qui structurent le quotidien, la solitude (à l’intérieur même d’une structure amoureuse perenne) et la vieillesse. Le cinéaste n’a jamais autant donné l’impression qu’il parlait directement de lui.
Gran Torino en revanche n’est pas un film intime. Aucun trouble de la ressemblance entre le sujet Clint Eastwood et ce personnage d’ex de la guerre de Corée qui se voit devenir le dernier blanc dans la banlieue que des immigrants asiatiques ont élu comme terre d’accueil. Pas intime, mais enfin à nouveau personnel quand même, après des machines à oscars aussi formatées que Million Dollar Baby et L’Echange. Il faut dire que contrairement à Chabrol, Eastwood n’a pas attendu d’approcher 80 ans pour parler de l’usure du corps. Dès Honkytonk Man, son film de quinquagénaire, il mettait en scène sa déglingue et n’a jamais cessé depuis de traquer chez lui ce que le temps avait détruit et ce qu’il avait épargné, ce qui aussi, du processus de dégradation du corps, pouvait être converti en beauté par l’intensité du regard d’Eastwood cinéaste sur Eastwood acteur.
La trahison des siens semble aussi un motif commun aux deux films. Dans Bellamy, l’image dans le tapis est une vieille culpabilité fraternelle qui hante Depardieu et ne saurait trouver de résolution. Tout ce qu’on essaie de réparer aggrave. Dans Gran Torino, au contraire, Eastwood n’arrête pas de réparer (avec un outillage inouï dans son garage dont il est très fier). Il répare une Amérique qui ne marche plus très bien, fût-ce au prix d’un immense sacrifice. Et pour sauver l’Amérique, réparer ce qu’elle a fait aux populations asiatiques dans son histoire récente, il va jusqu’à déshériter les siens. Choisir plutôt l’intérêt de l’enfant des voisins, et si possible chinois, que celui de ses propres enfants, c’est une définition idéale du politique.
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