A l’occasion du 80ème anniversaire de Batman, retour sous forme de classement sur ses multiples apparitions cinématographiques, du « Batman » gothique de Tim Burton au « Dark Knight » très premier degré de Christopher Nolan, en passant par l’homme-chauve-souris un brin clownesque signé Joel Schumacher.
Le 30 mars 1939 Batman faisait sa première apparition dans le numéro 27 du proverbial Detective Comics. Créé par Bob Kane et Bill Finger, le justicier de Gotham City deviendrait bientôt l’un des super-héros les plus célèbres au monde, rejoignant Superman, son cousin kryptonien apparu l’année précédente, au panthéon des figures emblématiques de la pop-culture planétaire. Une notoriété qui ne se dément pas 80 ans après sa création, l’homme chauve-souris continuant d’exercer une fascination inchangée, ses innombrables aventures épousant les mutations de la société américaine. En témoigne sa prodigieuse carrière cinématographique, qui aura charrié le meilleur comme le pire, faisant de Batman l’un des justiciers les plus cinégéniques du panthéon super-héroïque américain.
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Du Gotham expressionniste de Tim Burton au Dark Knight post-11 septembre de Christopher Nolan en passant par les clowneries embarrassantes du Batman de Joel Schumacher, le Batverse a su trouver dans le cinéma spectaculaire hollywoodien une incarnation protéiforme à sa mesure. Pour célébrer 80 ans de bons et loyaux services rendus à la population de Gotham City, nous avons établi le classement définitif (entendez : totalement subjectif) des films consacrés au Chevalier Noir.
9/ Batman v Superman : L’Aube de la justice (2016) de Zack Snyder
Dernière apparition en date du Chevalier Noir sur grand écran (si l’on oublie Justice League), Batman v Superman nous promettait une version brutale et vieillissante du super-héros, inspiré du Batman patibulaire de Dark Knight Returns, le comics culte signé Frank Miller. Si Ben Affleck, dans la peau du justicier, s’en tire avec les honneurs, le film est plombé par le symbolisme lourdingue, et franchement bas du front, et la psychologie de comptoir que lui instille Zack Snyder, coutumier du fait.
En plus d’asphyxier son récit de sous-intrigues dispensables, le cinéaste donne la pleine mesure à son formalisme pompier, multipliant les effets de style ronflants lors d’interminables bastons, noyées dans un tourbillon de CGI baveuse. Pire, l’affrontement mirifique entre Batman et Superman, censé être le climax du film, se solde par un retournement de situation gaguesque, dans lequel les deux héros, après s’être infligés quelques mandales cosmiques, se rendent compte que leurs mères ont le même prénom, et décident par conséquent de faire la paix. On avait dit pas les mamans.
8/ Batman & Robin (1997) de Joel Schumacher
Curieux itinéraire que celui de Batman & Robin. Deux après la sortie de Batman Forever, véritable carton au box-office, Joel Schumacher réinvestit les rues de Gotham City pour signer ce qui deviendra le pire film de super-héros jamais réalisé. Un authentique nanar qui lui vaudra néanmoins d’accéder au rang de film culte. En cause, un millième degré embarrassant, des répliques aussi ridicules qu’immortelles (« Freeze ! T’es givré »), des acteurs en roue libre, des décors en carton-pâte, et des costumes moulants (à tétons apparents, s’il vous plaît) à jamais dans nos mémoires. C’est à George Clooney (visiblement là pour cachetonner) qu’incombe la tâche d’incarner Batman. Si sa partition flirte avec le ridicule, que dire de la galerie de vilains – et notamment un Schwarzenegger granitique en Mister Freeze et Uma Thurman en Poison Ivy libidineuse – lui donnant la réplique. Parodie carnavalesque du Batverse, aussi respectueux du matériau d’origine qu’un autodafé de la littérature, Batman & Robin a ceci d’attachant qu’il est parfaitement raté.
7/ Batman Forever (1995) de Joel Schumacher
Première incursion de Joel Schumacher dans la franchise, Batman Forever n’est pas l’accident industriel que sera Batman & Robin deux ans plus tard, mais fait pâle figure après les deux films inauguraux orchestrés par Tim Burton. C’est notamment en réaction à Batman : Le Défi, jugé trop sombre, que s’édifie ce Batman Forever, monument de kitsch et de mauvais goût. Exit les artères gothiques du Gotham burtonien, bonjour le défilé hallucinatoire de freaks bariolés, du Double-Face unidimensionnel campé par Tommy Lee Jones à l’Homme-Mystère hystérique qu’incarne un Jim Carrey en exercice d’auto-parodie un peu gênant. Quant au Batman totalement schizo, à la monstruosité larvée, qu’incarnait Micheal Keaton dans le Batman de 1989, il fait place au jeu monolithique de Val Kilmer, aussi crispé dans le trois-pièce de Bruce Wayne que dans le costume en inox de son alias masqué.
6/ Batman : The Movie (1966) de Leslie H. Martinson
Adaptation sur grand écran du célèbre serial, qui dans les années 1960 avait renouvelé l’engouement autour du super-héros, alors en perte de vitesse, le Batman de 1966 est à l’image de la relecture pop du comics qui revitalise sa publication des années 1960 aux années 1980. Après avoir pris les traits d’un détective masqué taiseux, tout droit sorti d’un polar chandlerien, et avant de devenir un justicier sombre et tourmenté sous la houlette (notamment) de Franck Mazzucchelli, Frank Miller ou Alan Moore, Batman s’offre dans les années 1960 une respiration solaire. Adam West y incarne un justicier gentiment niais, plus prompt à faire respecter le code de la route qu’à rouster des gangsters. Dans un costume délicieusement kitsch, et dans un Gotham résolument groovy, il traque un quatuor de super-criminels (Joker, la Femme-Chat, le Sphynx et le Pingouin) aussi diaboliques que risibles. Comédie super-héroïque rigolarde, lorgnant vers la pure parodie, ce Batman pop est une sucrerie vintage délectable, qui s’avère bien plus regardable que (au hasard) la tambouille symboliste et lénifiante du Batman de Zack Snyder.
5/ The Dark Knight Rises (2012) de Christopher Nolan
Conclusion épique à la trilogie du Dark Knight initiée par Christopher Nolan en 2005, The Dark Knight Rises est un film somme-spectaculaire, parfois sublime, qu’une ambition démesurée et un brin mégalo fragilise par endroits. Fidèle à sa relecture très premier degré du Batverse, dans laquelle le panthéon super-héroïque de la franchise se voit dilué au profit d’un imaginaire militaro-industriel digne d’un techno-thriller, Nolan fait de ce Rises l’expression paroxystique des obsessions ayant présidé à sa réappropriation du comics depuis Batman Begins.
Y tourbillonne tout le chaos du monde, du groupuscule terroriste qui prend le contrôle de Gotham après s’être attaqué à sa bourse (mené par le musculeux Bane, sous les traits de Tom Hardy), à l’exil irakien d’un Bruce Wayne brisé, ayant perdu sa fortune. Sublime lorsqu’il fait de l’ascension d’une prison creusée dans le désert la résurrection de son héros outragé (et le contre-point symbolique de sa chute originelle dans le puits infesté de chauve-souris du manoir Wayne), le film souffre en revanche de son fourmillement narratif tuméfié, qu’il peine parfois à digérer. Demeure le geste nolanien, imparfait, excessif, mais résolument puissant, qui donne sa pleine mesure au terme d’un montage alterné apothéotique, montrant la disparition d’un héros, et l’avènement d’un autre…
4/ Batman (1989) de Tim Burton
C’est en grande partie à Tim Burton que Batman doit sa popularité écrasante dans les années 1990. En s’invitant sur grand-écran, le justicier devient le super-héros numéro 1, adoubé par une jeune génération qui grandira avec les films de Burton et la formidable série animée de 1992 signée Bruce Timm et Paul Dini, dont l’emblématique générique reprend le score du film, composé par Danny Elfman. Le tour de force de Burton est de parvenir à instiller son imaginaire singulier au sein d’un film de commande à gros budget, qui, loin d’être verrouillé, lui laisse au contraire donner libre cours à ses velléités de formaliste halluciné. Gotham City prend alors des airs de forteresse gothique, peuplée de gargouilles inquiétantes, sur laquelle planent les fantômes de l’expressionnisme allemand, et le futurisme décadent du Metropolis de Fritz Lang. Micheal Keaton y incarne un Batman ambiguë, dont on peine à deviner la nature infuse , tandis que, neuf ans après avoir crevé l’écran dans Shining, Jack Nicholoson prête son sourire outrancier à un Joker inoubliable.
3/ Batman Begins (2005) de Christopher Nolan
La tâche était de taille. Huit après la déroute de Schumacher, Batman Begins était censé faire table rase des épisodes précédents pour offrir au super-héros fatigué un second souffle cinématographique. C’est à Christopher Nolan, qui n’était pas encore le cinéaste démiurgique qu’il est devenu, qu’est confiée la tâche périlleuse de réinventer la genèse du justicier. Trois ans après Insomnia, polar paranoïaque haletant, le réalisateur britannique remplit la mission haut la main. Dans un Gotham plus sombre et fangeux que jamais, que gangrène une corruption généralisée, on suit les tribulations d’un Bruce Wayne tourmenté, incarné par un excellent Christian Bale.
C’est au détour d’un exil himalayen, qui l’amènera à croupir dans une geôle népalaise, que l’héritier de la famille Wayne, à qui sied mal le costume de golden boy qu’on voudrait lui imposer, entrevoit un autre avenir possible : s’il revient à Gotham, ce sera en justicier masqué surentraîné, bien décidé à libérer Gotham de la vermine qui la corrompt. Toute la panoplie du Chevalier Noir y est renouvelée, du costume en kevlar secrètement destiné à l’élite militaire, à la néo-batmobile, aux allures de char d’assaut pimpé. Fabuleuse origin story, qui s’éloigne de la fantasmagorie burtonienne pour lui préférer un réalisme charbonneux, Batman Begins pose les bases du Batverse nolanien, et en réinvente les personnages clés, fort de son prestigieux casting : Micheal Caine en Alfred, Morgan Freeman en Lucius Fox ou Gary Oldman dans la peau de James Gordon.
2/ Batman : Le Défi (1992) de Tim Burton
Plus sombre, plus effrayant, moins bariolé : le second Batman de Burton pousse plus loin la logique d’assombrissement qu’avait initié le film de 1989. Plus que jamais le cinéaste façonne Gotham à l’image de ses obsessions cinéphiles. Ses lignes brisées, ses beffrois lugubres et ses cheminées fumantes convoquent l’architecture biscornue du cinéma expressionniste allemand, la tanière souterraine du Pingouin (campé par Danny DeVito) prenant des allures de Cabinet du docteur Caligari. La scène d’ouverture, où l’on voit le berceau abandonné de celui qui deviendrait le Pingouin voguer dans les ténèbres souterraines de Gotham, est à cet égard programmatique.
Quant à la monstruosité que dissimule Batman, toujours interprété par Micheal Keaton, elle prend dans Le Défi une dimension plus prégnante, et le jeu de miroir pernicieux qui existait déjà entre le justicier et le Joker – deux freaks déguisés se livrant une bataille d’ego – confine à la schizophrénie lorsque Batman se met en quête de démasquer le plan diabolique du Pingouin, lui aussi héritier d’une famille noble de Gotham, lui aussi traumatisé par la perte de ses parents. Point d’orgue du cinéma burtonien, où tournoient toutes ses obsessions esthétiques, Batman : Le Défi s’impose comme l’une des visions les plus habitées du Batverse.
1/ The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan
C’est sans grande surprise The Dark Knight, deuxième film de la trilogie de Christopher Nolan, qui truste la première place du classement. Film jalon pour le cinéaste, qui fera de lui le réalisateur le plus bankable d’Hollywood pour les années à venir, The Dark Knight est aussi le film-testament de Heath Ledger, mort quelques mois avant sa sortie à l’âge de 28 ans, qui y incarne un Joker ébouriffant, agent du chaos anonyme et terrorisant, loin de l’interprétation foraine et outrancière de Jack Nicholson. Plus que jamais Gotham devient le pendant fictif de New York, et la terreur qu’y sème le Joker, l’image fantôme du 11 septembre. Il suffit de voir les ruines calcinées des bâtiments dynamités par le Joker, aux pieds desquels s’affaire une cohorte de pompiers, ou bien la paranoïa qui saisit la population de Gotham, et plonge la ville dans la tétanie, pour en prendre la mesure. The Dark Knigt sacrifie certainement l’allant pulp des précédentes adaptations de Batman – et lui préfère un sérieux papal qui peut décontenancer – mais parvient à asseoir une réflexion puissante sur la justice américaine et ses angles morts, la légitimité d’une action illégale face à l’inertie du système judiciaire, et les limites morales de mesures sécuritaires louant la privation de libertés.
Sans parler de la façon dont il radiographie le cynisme de la politique américaine, où il vaut parfois mieux sauver les apparences que révéler une vérité abrasive. Et tout ça dans un film de super-héros. En poussant à son paroxysme sa relecture au premier degré du Batverse, Christopher Nolan signe un film-théorème saisissant, et fait d’un super-héros iconique aimé de tous, le porteur des psychoses de son époque. Sans pour autant oublier de faire du cinéma.
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