De Dieppe à Marseille, un road-movie buissonnier plein d’optimisme et de légèreté gracieuse, une comédie sans musique mais très musicale. On se souvient avec joie de ceux qui, avec Jeanne et le garçon formidable, avaient osé redonner vie à la comédie musicale, en lignée directe avec Demy. Avec ce second film, le duo Ducastel et […]
De Dieppe à Marseille, un road-movie buissonnier plein d’optimisme et de légèreté gracieuse, une comédie sans musique mais très musicale.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On se souvient avec joie de ceux qui, avec Jeanne et le garçon formidable, avaient osé redonner vie à la comédie musicale, en lignée directe avec Demy. Avec ce second film, le duo Ducastel et Martineau confirme un univers singulier, mélange continuel de légèreté gracieuse et enchanteresse sur fond de désespoirs contemporains. Comme avec Jeanne, les personnages s’ancrent dans notre réel, celui du sida, du chômage, du racisme, des familles éclatées. Drôle de Félix est un road-movie solitaire peuplé de rencontres de hasard mais jamais hasardeuses à l’exception des fachos. Dans cette marche, à pied ou en stop, à travers la France, de Dieppe à Marseille, l’important ne sera pas le but atteint, mais les jalons que Félix sèmera derrière lui, telles des miettes de Petit Poucet. Les personnages qu’il croise, et qui le choisissent pour la plupart, s’apparentent à des bornes constitutives. Ils vont permettre à Félix, parti à la recherche de son père, de compléter une généalogie trop lâche, d’engendrer plusieurs mémoires imaginaires à partir de chacun, de se fortifier, en un mot de se « finir ».
A chaque arrêt, un double mouvement de délestage et de bénéfice s’opère. Félix rassasie sa faim de filiation et dépose sur le seuil, dans chaque lit, un peu de son essence, un souvenir évanescent, pour repartir plus libre et plus fortement relié à la vie, à l’image du cerf-volant. Ces haltes lui permettent aussi d’endosser des rôles que l’on suppose restés en suspens : grand frère et amant initiateur, petit-fils vénéré sous le regard d’une Patachou extraordinaire, cousin dépucelé dans les champs, petit frère, et fils enfin qui se confie, allongé comme sur un divan, aux pieds d’un père. Pour réussir son voyage, il faut prendre son temps. Il y a en effet un art de la flânerie que Félix impose et qui se heurte intrinsèquement à son temps propre, compté, déterminé par sa trithérapie. Tout comme le film va à contre-courant de la vitesse de nos vies modernes, il s’oppose également au cynisme ambiant. Si D & M réussissent à nous faire rire avec le sida grâce à un humour subtilement distillé, la douceur accueillante qui baigne le film pourrait être reçue comme un trop-plein de bons sentiments et de traits caricaturaux. On rétorquera que nous sommes ici dans un conte, et que dans les contes, les figures sont forcément plus appuyées, et les camps nettement déterminés. Il y a les bons et les méchants, exactement comme dans la sitcom Luxe, Gloire et Volupté. Au bout du chemin, Félix retrouvera Daniel, son fiancé resté en dehors de cette parenthèse temporelle. Il sera passé d’une mer à une autre, d’un père à un autre, il aura pris de l’avance, en s’offrant le luxe inouï d’une petite vie supplémentaire.
{"type":"Banniere-Basse"}