Sans nouvelles depuis vingt ans d’un ami de son père, Henri-François Imbert part au Mali à sa recherche. Il en rapporte le simple et splendide Doulaye, une saison des pluies. Un art de la lenteur, de la patience et de l’écoute qui n’oublie pas de questionner les relations Nord/Sud. Quatre ans après le superbe Sur […]
Sans nouvelles depuis vingt ans d’un ami de son père, Henri-François Imbert part au Mali à sa recherche. Il en rapporte le simple et splendide Doulaye, une saison des pluies. Un art de la lenteur, de la patience et de l’écoute qui n’oublie pas de questionner les relations Nord/Sud.
Quatre ans après le superbe Sur la plage de Belfast, moyen métrage où l’auteur partait à la recherche des protagonistes d’un film de vacances en super-8 trouvépar hasard, Doulaye, une saison des pluies vient confirmer que nous avons trouvé en Henri-François Imbert un nouvel « ami » très cher dans le cinéma on met des guillemets au mot « ami » car on ne connaît Imbert que par l’intermédiaire de ses films magnifiques. Après Laurent Achard, Laurent Cantet, Philippe Ramos et d’autres, voilà encore un cinéaste français qui comptera pour nous ces derniers mois, un cinéaste qui s’impose avec les qualités justement les moins recommandées pour « s’imposer » aujourd’hui : la modestie, la patience, la discrétion, la beauté et la justesse du regard (beau parce que juste, juste parce que beau). Dans notre époque de vitesse, de fureur et de gesticulations, les films d’Henri-François Imbert nous réapprennent l’art du murmure, du silence, de l’écoute et de la lenteur nécessaire.
Comme dans Sur la plage…, Doulaye… débute par une sorte d’enquête sans crime ni coupable : dans le premier film, il fallait retrouver les protagonistes d’une vieille bobine oubliée ; ici, il s’agit de pister une personne imprimée dans les tréfonds de la mémoire du cinéaste le cinéma, éternel processus d’incarnation. Cette personne objet de la quête d’Imbert, c’est Doulaye Danioko, ancien ami de son père. Le cinéaste en garde un seul souvenir, très précis : en 1971, alors qu’il avait 5 ans, il était assis sur les genoux de Doulaye et jouait avec son visage, dans le salon familial à Châteauroux. Ensuite, l’ami africain est parti travailler en Algérie, correspondant régulièrement avec le père d’Imbert. Puis, en 76, il annonce qu’il rentre dans son pays natal, le Mali. Mais depuis cette date et cette dernière lettre, plus de nouvelles, Doulaye a disparu. Tout ce préambule informatif est énoncé en voix off par Imbert, car le film débute sur la terre d’Afrique (plans splendides). Tout l’intérêt et le « suspens » de la première partie tiennent en ce que cette enquête est filmée en « dramaturgie réelle », c’est-à-dire que cinéaste et spectateurs sont sur la même ligne. On progresse en même temps qu’Imbert, on rencontre les gens, témoins, amis d’amis, qui pourraient nous mettre sur la bonne piste, chose pas si simple, car les Danioko sont assez nombreux au Mali. Mais parallèlement à l’enquête, on se rend compte qu’un autre film se déroule en même temps sous nos yeux, un journal de voyage flâneur, totalement réceptif à l’Afrique et aux Africains. Ainsi, Imbert montre une conversation animée à laquelle on ne comprend pas grand-chose et qui ne fait pas vraiment avancer la donne, mais qui est pleine d’enseignements sur la faconde, la générosité et l’esprit d’entraide des Maliens. Plus loin, en dehors de Bamako, Imbert s’arrête quelques heures chez une famille d’agriculteurs et les filme attentivement : c’est zéro du strict point de vue dramaturgique, mais cette séquence où le tempo ralentit et où l’on observe des gestes immémoriaux est magnifique, bouleversante. Et si elle bouleverse, c’est autant par le pan de vie d’Afrique rurale qu’elle nous montre qu’en raison du choix d’Imbert d’interrompre son fil rouge pour saisir et nous faire partager ce fragment de beauté qui s’est présenté à lui de façon aléatoire.
Imbert approche petit à petit de son but : Doulaye Danioko a été député dans une précédente législature, et le cinéaste poursuit alors son investigation dans les services du
parlement et dans les agences de presse. Le bureau du parlement est une petite pièce mocharde, équipée d’un téléphone ancien modèle et les archives sont empilées dans de vieux classeurs poussiéreux. L’agence photo est une vieille bicoque en bois vermoulu. On est loin des locaux feutrés de Magnum ou des lambris et dorures de
l’Assemblée nationale. Sans un mot de commentaire à ce sujet, par la simple puissance de ses images documentaires et ontologiquement politiques, Imbert, sans forcer, nous met le nez dans la dégueulasserie éternelle des relations Nord/Sud.
Le cinéaste voyageur finit par retrouver Doulaye, qui vit retiré dans la banlieue de Bamako. Emotion et joie des retrouvailles. Le film semble terminé. Eh bien non : un autre film commence, complémentaire du précédent. Pour le cinéaste (et maintenant pour le public), il ne s’agissait pas simplement de retrouver Doulaye (comme on retrouve un objet), mais de le rencontrer. Après les premières conversations reprenant le fil suite à vingt années de séparation, Imbert s’installe chez les Danioko et les filme longuement, la caméra prenant de plus en plus le relais de la parole. Désormais, il n’est plus question de scénario ou de dramaturgie, mais d’imprégnation et de contemplation. Cela donne des scènes magnifiques de force et de simplicité : Doulaye recevant ses amis, Mme Danioko préparant le thé selon un cérémonial patient et mystérieux, les enfants s’entraînant au karaté dans le jardin. Dans ces moments-là, Imbert nous réapprend à quel point le cinéma peut être une école du regard, mais aussi de l’écoute, de la patience et de l’attention à l’autre, de la durée comme écrin indispensable de la pensée. Et on se prend à hasarder une hypothèse : les différents rythmes des sociétés et des personnes sont politiques par essence. Le film montre concrètement ce qu’est un monde à deux vitesses. Hors champ (pas la peine de montrer, on connaît), il y a notre monde occidental surspeedé, lancé dans une fuite en avant de plus en plus rapide et de moins en moins contrôlée, un monde où la grande question est de savoir à quoi ressemblera le prochain modèle de téléphone portable, où tout le monde cavale dans la course au bonheur obligatoire, au fric et à la technologie, sans plus jamais prendre le temps de vivre société du stress capitonné au Prozac. Et puis il y a l’Afrique que nous montre Imbert, où les gens paraissent naturellement souriants et heureux, mais où un ancien député vit dans une modeste baraque en béton brut, chichement décorée, avec pour tout équipement audiovisuel un vieux transistor, une vieille télé et un vieux magnétoscope dont le fonctionnement nécessite la mise en route d’un vieux groupe électrogène. Tout député qu’il était, Doulaye, comme tous les Africains, subit les conséquences de la colonisation ce qui n’entame pas pour autant sa bonne humeur. Les pragmatiques diront que l’Afrique doit se mettre au rythme de l’Occident si elle veut s’en sortir, omettant de préciser que si elle en est là, c’est en grande partie la faute de l’Occident. Mais en regardant Doulaye…, on se sent plutôt utopiste et l’on se demande si, pour une fois, ce ne serait pas à l’Europe et aux Etats-Unis de suivre le tempo de l’Afrique, si ce renversement du chemin de fer planétaire (l’Amérique en sempiternelle loco TGV et l’Afrique en perpétuel wagon décroché) ne ferait pas le plus grand bien à tout le monde.
Enquête intime, journal de voyage, récit d’un lien qui a persisté malgré les distances et les années, Doulaye, une saison des pluies est aussi un film qui nous regarde et qui, par la seule vérité nue de ses images et de son rythme, nous questionne en douceur sur l’ordre du monde, sur les notions de progrès et de civilisation. Doulaye n’a pas Internet et pourtant, il a l’air beaucoup plus heureux que nous. Le film d’Imbert ne résout pas ce paradoxe apparent, mais il a l’immense mérite de le poser, sans chercher à le poser, élégance suprême.
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Doulaye, une saison des pluies d’Henri-François Imbert, « avec » Doulaye Danioko, Kadidia Danioko, leurs enfants…
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