Un thriller fantastique plein de vigueur, porté par deux actrices superbes.
Plus autonomes que Satan, qui a besoin d’investir le corps des vivants (tendance jeunes) en vue de les terroriser, les morts ont en général assez de leurs peaux pour venir nous donner des nouvelles d’Outre-tombe. Plus ou moins décatis, plus ou moins bien lunés, ils errent, sans médiateur, dans l’évidence de leur présence charnelle. A quelques exceptions près. Les morts assoiffés de vengeance de Dorothy, par exemple, trois en tout, vont manifester leur mécontentement par le biais d’une adolescente, avatar physique d’Alice aux pays des merveilles, devenue l’attraction principale d’un village au nord de l’Irlande. Dans son lancement, le film – troisième de la réalisatrice française Agnès Merlet, onze ans après un film d’époque avec Michel Serraut, Artemisia – est d’abord bien amarré au réel, épousant les contours du thriller psychologique : une psychiatre, Jane Morton (Carice Van Houten, vue chez Paul Verhoeven, la classe faite femme), décide de venir étudier le cas d’une jeune fille accusée de tentative de meurtre (Jenn Murray, premier rôle au cinéma, actrice surdouée) et atteinte selon elle du syndrome de la personnalité multiple. La voix de la science contre celle de l’occulte, cultivé jusque là par une communauté de protestants intégristes via de crapuleuses séances de spiritisme. La psy enchaîne les entrevues dans une succession d’ambiance moites, d’intérieurs viciés par les relents de gravy et de naphtaline. L’image recherche la crudité – signe ici d’un univers filmique en bonne santé. Plus tard, avec la même vigueur, le thriller prend une tangente fantastique, l’irrationnel plus fort que la raison, plongeant notre héroïne de psy (elle-même en deuil d’un fils) dans la tourmente. Mais une autre ligne, plus basse, porte la trame vers son dénouement. Cette ligne s’insinue dans un axe purement féminin du film, à travers la mise en présence de deux créatures, deux silhouettes monstrueuses découpées sur un arrière-plan de culs-terreux : la grande beauté et la grande folie, soudées ici dans ce couple contractuel que forment le psy et son patient. Le tandem s’abîme dans une fascination mutuelle, excluant les hommes relégués au rang de dépressifs, de débiles et de violeurs (voir le sort réservé à la seule figure masculine positive du film). Et tandis que chaque famille de vivants exige de l’adolescente qu’elle se laisse posséder par une figure unique – celle du mort adulé – quitte à lui céder la place éternellement, c’est par un fantasme inverse que se laisse gagner le docteur : désir pour celle qui est plusieurs personnes à la fois, cumulent toutes les fonctions, dans un rêve de totalité qui comblerait tous les manques. Désir d’une puissance telle qu’il ne pourra se résoudre que dans un principe de fusion/dévoration – et au-delà, dans cette énigme persistante : qui a mangé qui ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}