Suite à un accident, un homme se retrouve paralysé. Un récit de transformation grâce auquel le cinéaste renoue avec certains de ses premiers films.
Nous l’avions laissé dans une forêt, à l’ombre d’un mélodrame surécrit où sa tendance touche-à-tout se traduisait pour la première fois par un inquiétant naufrage. C’est que depuis Paranoid Park, dernier film purement issu de son univers, Gus Van Sant ne tient plus en place, butinant de genre en genre avec plus ou moins d’aisance. Outre le ratage Nos souvenirs, le portraitiste des marginaux de Portland n’a cessé de muter et d’élargir son cinéma, s’essayant successivement au biopic ouvragé (Harvey Milk, 2008), à la ritournelle teen (Restless, 2011) et au film politique (Promised Land, 2012), sans oublier la série (Boss et When We Rise).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce mouvement d’étirement est ici en suspension. Gus Van Sant opère dans Don’t Worry… une série de retrouvailles (géographiques et humaines) et renoue avec le sujet du handicap, déjà abordé dans My Own Private Idaho (1991), à travers la narcolepsie du personnage incarné par le frère décédé de Joaquin. Puis, d’une certaine façon, sous les traits du bad boy de Will Hunting (1997), surdoué mais inapte à la vie sociale du milieu auquel son don lui donnerait accès.
Don’t Worry… interroge aussi la combinaison mystérieuse entre don, déficience et compensation. S’articulant entre ces trois points de tension, il est le récit d’une métamorphose. Il raconte une partie de la vie de John Callahan, un white trash qui voit son insouciante vie de défonce prendre fin lors d’une énième nuit d’ivresse, entre une voiture et le lampadaire qu’elle percute. Les trois quarts du corps paralysés, il s’inscrit aux Alcooliques anonymes, rencontre un gourou de la désintoxication (Jonah Hill) et va finalement se découvrir un talent caché en irrévérencieux cartooniste.
Placé sous la double parentalité de My Own Private Idaho et Will Hunting, Don’t Worry… en reprend encore d’autres traits. D’un côté, la temporalité nébuleuse, le recours à une forme aérienne, quasi documentaire et la liberté octroyée à Phoenix rappellent son film de 1991 tandis que son souci de rendre compte du pouvoir de la parole, son lyrisme sentimental et son personnage de soigneur – Jonah Hill a remplacé le psychothérapeute incarné par Robin Williams – renvoient à Will Hunting.
C’est d’ailleurs quand il se désintéresse un peu de Joaquin Phoenix – plus que jamais à la lisière du surjeu – pour se passionner pour Jonah Hill que le film gagne en densité. Eblouissant dans ce rôle de riche mentor homosexuel, il semble complètement réinventé par le regard que Gus Van Sant pose sur lui. Un corps qui semble aminci, une gestuelle féline et précise, un visage barbu, des yeux d’un bleu qui n’avait jamais semblé si pénétrant et un jeu infiniment velouté et incarné, il est peut-être la véritable métamorphose dont le film est inconsciemment le récit.
Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot de Gus Van Sant, avec Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Rooney Mara, Beth Ditto, Jack Black (E.-U., 2017, 1 h 54)
{"type":"Banniere-Basse"}