Tarantino invite l’histoire de l’esclavage dans le chromo du western. Tonique et drôle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans l’Ouest de Tarantino, rien de nouveau. Et en même temps, tout est neuf. Nouveau genre (le western), nouveau sujet (l’esclavage), nouveaux acteurs (Jamie Foxx, tout en intériorité habitée ; Leonardo DiCaprio, d’une intensité effrayante), nouveaux lieux (les immensités du Wild West). Mais aussi même science du dialogue à mèche longue, de la réplique qui fuse, même goût du recyclage cinéphage et de la représentation limite de la violence, mêmes figures de la Tarantino’s connection (Samuel L. Jackson, Christoph Waltz).
Même au niveau de la prod, on trouve du neuf (Reginald Hudlin, Pilar Savone…) et du classique (les frères Weinstein). Tiens, au fait, un film sur l’esclavage produit par des Noirs et des Juifs, il y a de quoi donner à penser à Dieudonné, si ce qui lui reste de cerveau en est encore capable.
On est au milieu du XIXe siècle, juste avant la guerre de Sécession. Le docteur King Schultz (Waltz), médecin charlatan et chasseur de primes, libère l’esclave Django (Foxx) et fait alliance avec lui, d’abord pour traquer et capturer une bande de hors-la-loi, puis pour aller délivrer la fiancée de Django, prostituée-esclave dans une plantation. Ladite fiancée répond au nom insolite de Broomhilda, dérivé du germanique Brunhilde.
Dans la première partie, Papa Schultz/Waltz se fend d’un véritable cours sur la mythologie allemande qui nous enseigne que l’arc narratif de Django Unchained sera lointainement inspiré des Nibelungen. Influence germanique assez inhabituelle pour un western (on connaissait le sous-genre spaghetti, voici sa déclinaison Sauerkraut), mais finalement assez logique dans la continuité tarantinienne : Django Unchained est aux Noirs ce qu’Inglourious Basterds était aux Juifs, une revanche ciné-fictive sur l’histoire.
Le terrible dieu Wotan du mythe germanique prend ici les traits d’un odieux propriétaire terrien, Calvin Candie (DiCaprio), qui ne se distrait qu’au spectacle de ses esclaves dévorés par des chiens ou se battant entre eux à mains nues tels des gladiateurs. Dans cette partie “plantation” mixant ciné A et ciné Z, Tarantino insère des influences européennes qui sont à la fois cinéphiles et justifiées par le récit – les maîtres sudistes se prenaient pour des rois et se piquaient de raffinement européen alors que Tarantino prend manifestement plaisir à filmer des séquences de dîners aux candélabres avec vaisselle chic et codes sociaux sophistiqués. Il pense peut-être à Visconti, cite Dumas, ce qui fait également sens puisque Monte Cristo est l’une des plus célèbres fictions de vengeance, genre prisé du cinéaste.
Comme avec Inglourious Basterds, Tarantino parvient à faire cohabiter tragédie historique et comédie. La méthode reste la même : le personnage principal porte en lui la part sérieuse du film, Django étant aussi habité de douleur et de colère que l’était Shosanna/Mélanie Laurent. La comédie est répartie sur les autres personnages, Waltz reprenant son grand numéro de phraséologue dialecticien à l’élocution irrésistible, mais en étant ce coup-ci du côté du bien.
On notera une impayable séquence sur les cagoules du KKK ou encore la jouissance incorrecte de Samuel L. Jackson à jouer sans frein un ultra-Oncle Tom au service des Blancs racistes, version noire-américaine de la figure du kapo.
Malgré les mille plaisirs qu’il dispense, Django Unchained laisse aussi avec un léger bémol en arrière-goût. Deviendrions-nous tarantinoblasés ? Après réflexion, il m’a semblé que la pointe de déception tenait au western, un genre pas facile à renouveler, comme si les codes inévitables que sont les chevaux, les grands paysages, les villes en bois, les duels au colt étaient irrémédiablement figés dans le formol de l’imagerie, du passé de l’histoire et
du cinéma, du déjà trop vu.
Autres grands recycleurs de genres, les frères Coen avaient connu le même souci avec True Grit, bon film mais pas leur meilleur parce qu’ils parvenaient moins à surprendre… Tarantino réussit à secouer le western par le sujet, les situations et dialogues, moins par la facture visuelle et la mise en scène. À cette réserve près, c’est globalement du très bon. Du Quentin.
{"type":"Banniere-Basse"}