L’animation japonaise a cent ans ! Pour fêter l’événement, dont rend compte un superbe et touffu livre-album qui retrace l’histoire du genre, voici dix films qui démontrent l’indéniable suprématie du Japon dans le domaine.
Les deux grands pays producteurs actuels de films de genre sont les Etats-Unis et… le Japon. On trouve dans ces deux pays une production sans équivalent dans les catégories thriller, érotisme, fantastique, SF ou contes pour enfants. Evidemment, la différence majeure est que le cinéma japonais, certes présent dans le secteur des images dites réelles – car structuré à ses débuts sur le modèle hollywoodien –, a connu une expansion et une créativité inouïe dans une niche bien particulière : le dessin animé. Le livre-somme de Matthieu Pinon et Philippe Bunel, Un siècle d’animation japonaise, témoigne de cette évolution progressive et irrésistible.
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Depuis cent ans, le dessin animé japonais ou anime, étayé par la profusion de mangas qui lui servent de substrat, n’a cessé de surprendre et d’émerveiller. Il est à notre sens le meilleur au monde, par son inventivité, pour la simple raison qu’il ne s’adresse pas seulement aux enfants et ignore les clichés gnangnan du cartoon occidental. A l’occasion de la publication de cet imposant ouvrage richement illustré, nous avons sélectionné dix jalons essentiels, parfois méconnus, parfois célèbres, de ce cinéma dessiné du Japon, qui dépasse en vertige et en invention le cinéma en images réelles.
Tradition farcesque — Le Sabre flambant neuf de Hanawa Hekonai (1917) de Junichi Kôchi
Une farce animée dessinée au trait, assez proche de ce que faisait le pionnier Emile Cohl en France à la même époque. Cette vision relativement irrévérencieuse de la tradition samouraï date de 1917. Elle est, d’après les auteurs de l’ouvrage, “la plus vieille archive précisément datée qui nous soit parvenue”. Du moins, en ce qui concerne le dessin animé nippon.
Propagande poétique — Momotaro, le divin soldat de la mer (1945) de Mitsuyo Seo
Le premier long métrage nippon d’animation est une œuvre de propagande signée par un spécialiste du genre, Mitsuyo Seo, qui avait la particularité – comme nombre de ses collègues nippons des années 1930-40 – d’être un fanatique du travail de Disney et d’en imiter la ligne claire. Il s’agit d’un film nationaliste, du moins pan-asiatique, et anti-occidental par définition, mais qui subit donc en même temps l’influence esthétique de ce pays ennemi. Cette œuvre ayant des valeurs poétiques indéniables magnifie dans un premier temps la vie à la campagne dans un style très disneyen, avec des animaux anthropomorphisés. Ce film aurait déclenché la passion d’un futur grand, Osamu Tezuka, sans lequel l’anime n’aurait sans doute pas été la même…
Féerie en ombres chinoises — Le Vaisseau fantôme (1956) de Noburô Ôfuji
Au milieu du XXe siècle apparaissent quelques individualités singulières, comme Noburô Ôfuji, artiste qui travaille en dehors des majors japonaises et produit des visions vaporeuses et irréelles en utilisant des papiers découpés avec une virtuosité sans pareille. Ce cinéaste féru de religion qui réalisera un film sur Bouddha, adaptera aussi divers contes et légendes, comme ce Vaisseau fantôme de toute beauté, qui sera présenté au Festival de Venise. On ne sait pas si le Français Michel Ocelot (Kirikou et la Sorcière) s’en est inspiré pour son Princes et princesses, mais ça y fait beaucoup penser…
Révolution spatiale — Astro Boy (1963), série de Osamu Tezuka
https://www.youtube.com/watch?v=x6JRarSVur8
L’espace et l’aviation n’étaient pas absents des premiers animes, mais c’est réellement Osamu Tezuka, avec l’adaptation en série télé (la première en animation !) de son manga Astro Boy, qui va propulser le dessin animé japonais dans la stratosphère et au-delà ; il a ouvert la voie à la science-fiction, qui va devenir l’affaire majeure de l’animation nipponne à la fin du XXe siècle. Astro Boy est tout simplement un robot kawaï et superpuissant, qui vole et a de nombreuses autres facultés, comme celle de maîtriser le temps. Un superhéros à la mode nipponne.
Enfer des robots — Mazinger Z (1972) série de Tomoharu Katsumata
Une fois que la voie de l’espace a été ouverte, cela ne pouvait plus s’arrêter. On poursuit donc avec d’autres robots beaucoup plus mastoc, comme ce Mazinger Z géant aux contours anguleux piloté par un humain, qui est l’ancêtre du célèbre Goldorak, issu de la plume du même auteur de mangas, Go Nagai. En France, dans les eighties, lorsqu’on diffusa ces séries dans des émissions enfantines, ces personnages et ces aventures supersoniques – et donc bruyantes – firent couler beaucoup d’encre à cause de leur violence supposée et de leur caractère abêtissant. L’anime traîna longtemps chez nous une mauvaise réputation due à une grande méconnaissance de la discipline. Depuis, la France s’est rattrapée. Un énième remake ou reboot de Mazinger Z vient d’ailleurs de sortir en salle.
73, année érotique — Belladonna (1973) de Eiichi Yamamoto
Osamu Tezuka n’est pas un pur esprit ludique, ni un homme que les plaisirs de la chair laissent indifférent. En 1969 et 1970, il produit et coréalise avec Eiichi Yamamoto une adaptation érotique des Mille et une nuit, puis une Cleopatra tout aussi leste. Yamamoto poursuivra sur sa lancée en réalisant seul une version érotique soft de La Sorcière de Michelet, qui reste un chef-d’œuvre du psychédélisme et de l’animation picturale, exécutée avec des techniques mixtes, dont l’aquarelle. Cela évoque autant Jean-Claude Forest (Barbarella) que Gustav Klimt.
Naissance d’un géant — Conan, le fils du futur (1978), série de Hayao Miyazaki
La première réalisation de Hayao Miyazaki est une série où, comme on peut le constater dans la superbe bande-annonce, tous les éléments et thèmes de son œuvre se trouvent déjà conjugués : écologie, espace, guerre, pacifisme, etc. Réalisée en 1978, et située dans le futur… en 2008, la série postule qu’une Troisième Guerre mondiale a eu lieu, dont n’est sortie indemne qu’une poignée d’humains réfugiés sur une île. Parmi laquelle Conan, qui lutte pour que le secret de l’énergie solaire (on est en 1978) ne tombe pas dans les mains d’un être maléfique aux visées destructrices…
Enfants dans la guerre — Le Tombeau des lucioles (1988) de Isao Takahata
https://www.youtube.com/watch?v=uLJo785YJsM
Parallèlement à la sortie du premier grand succès commercial de Miyazaki, Mon ami Totoro, œuvre panthéiste axée sur le quotidien et une certaine vision idyllique de l’enfance, Isao Takahata, son associé au sein du studio Ghibli, vétéran versatile, réalise un vrai mélodrame sur les horreurs de la Seconde Guerre mondiale subies par deux enfants orphelins errant dans les décombres de la ville de Kobé. Un film cité en général comme chef-d’œuvre du dessin animé dramatique.
Horreur dans la pop — Perfect blue (1997) de Satoshi Kon
https://www.youtube.com/watch?v=yTA11PBcUWw
Autre genre que l’anime est le seul ou presque à aborder : le psycho-thriller aux intonations gore. Certains ont évoqué l’influence du cinéma de Dario Argento, d’autres Carrie ou John Carpenter. Toujours est-il que Satoshi Kon, ancien aide-mangaka du grand Katsuhiro Otomo (Akira), fait merveille avec cette histoire d’une jeune pop-star devenue actrice autour de laquelle les morts violentes se multiplient. Un film virtuose de par son jeu très complexe entre fiction (la série où joue l’héroïne) et réalité, dont les limites deviennent floues et perméables. Un sommet de l’anime pour adultes.
Le réalisme photographique arrive — Final Fantasy – Les Créatures de l’esprit (2001) de Hironobu Sakaguchi
Ce qui devait arriver arriva : si la contamination de l’animation 3D à l’américaine ne s’est pas encore faite trop sentir au Japon, où grosso modo on reste fidèle au 2D façon ligne claire, l’influence des jeux vidéo était inéluctable. L’adaptation cinématographique de l’un d’eux, Final Fantasy, emploie donc les mêmes rendus hyperréalistes que les jeux. Ce film de SF très léché au budget pharamineux de 137 millions de dollars – dont l’enjeu est la traque de fantômes qui s’emparent des âmes humaines – fut un flop, ce qui explique sans doute que la 3D hyperréaliste ne soit pas encore très présente dans les films. Mais c’est un jalon de l’évolution de l’anime que l’on ne pouvait ignorer.
Un siècle d’animation japonaise de Matthieu Pinon et Philippe Bunel, Ed. Ynnis, 208 p., 29,90 €
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