Chaque été, un film casse sans prévenir la baraque au box-office américain. En 2009, c’est le cas de District 9, de Neil Blomkamp. Une histoire d’extra-terrestres qui débarquent sur terre, et qu’on attend au cinéma en France le 16 septembre prochain. Décryptage d’un succès inattendu.
« Les bons étés, il y a souvent un film qui sort de nulle part pour nous impressionner à mort. Il se trouve qu’on traverse un bon été. Et ce film, c’est District 9. » D’ordinaire plutôt grognonne, la critique du Los Angeles Times Betsy Sharkey s’est répandue en éloges le jour de la sortie du premier long-métrage d’un inconnu de 29 ans venu de la publicité et spécialiste des effets spéciaux, le dénommé Neill Blomkamp. Délire par temps de canicule ? Implication perso dans la vie de l’intéressé ? Rien de tout cela. Betsy n’était pas la seule. Le buzz était prévu. Calculé. C’est un objet filmique pensé pour produire un impact maximum qu’a reçu l’Amérique en plein visage le 14 août dernier.
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Comme autrefois avant l’arrivée de Blair Witch Project (le pionnier, il y a dix ans déjà) et plus récemment de Cloverfield, les aventuriers du net trépignaient depuis des mois en attendant District 9. Bombardés de teasers puis de bandes-annonces qui laissaient croire à un documentaire choc sur l’Afrique du Sud des ghettos, intrigués par la présence de Peter « Seigneur des Anneaux » en tant que producteur, les geeks ont assailli les forums, prenant la roue du marketing viral orchestré par le distributeur du film (Sony-Tristar). On ajoute une campagne d’affichage mystérieuse et graphiquement intéressante (des panneaux : « Interdit aux extraterrestres » notamment) dans la plupart des grandes villes US, et District 9, D-9 pour les intimes, a ramassé 60 millions de dollars lors de sa première semaine d’exploitation au pays de Disney. Soit à peu près le double que ce qu’avait coûté le film. L’un des événements de l’année, de tous points de vue.
Le coup de force de District 9 se dessine dans l’alliance quasi parfaite entre une idée de producteur et l’expérience intime d’un cinéaste. Peter Jackson, le Steven Spielberg d’aujourd’hui, a repéré Neil Blomkamp, né en Afrique du Sud mais installé à Vancouver depuis ses dix-huit ans, en visionnant son court-métrage Alive In Joburg sur les conseils d’un ponte de Universal. Le film était une sorte de brouillon de D-9 mais Jackson a d’abord voulu confier à Blomkamp l’adaptation cinéma de Halo, un projet titanesque qui a traîné, traîné, jusqu’à tomber à l’eau… Plutôt que de repartir la queue entre les jambes, le jeune homme (30 ans au mois de septembre !) est resté en Nouvelle Zélande dans les studios de son boss. Et s’est attelé à l’écriture d’un film prolongeant son court-métrage, inspiré de ses années de jeunesse sous la ségrégation en Afrique du Sud. District 9, donc.
Dans la meilleure tradition de la science-fiction et des films d’aliens, District 9 se déploie comme une satire politique virulente et ne prend même pas soin de voiler ses intentions. Les premiers commentaires en voix-off préviennent qu’une catastrophe est arrivée il y a plus de vingt ans : un vaisseau venu de l’espace s’est échoué au-dessus de Johannesburg, laissant des milliers d’extraterrestres sans nourriture et sans organisation sociale. Recueillis par le gouvernement, transférés dans des camps, ceux-ci ont fini par prendre racine et forment une nouvelle classe privée de tout, que la population haineuse appelle « les crevettes » et que la police pourchasse. Cela ressemble à l’Apartheid et c’est le but recherché. Mais le film est assez malin pour ne pas prendre le prétexte du décalage temporel. Le spectacle auquel nous assistons, ce racisme sans limites, ces aliens entassés par milliers dans des bidonvilles et accros à la bouffe pour chat (grande idée comique et horrifique), tout cela a lieu aujourd’hui, juste à côté.
Dans sa façon brutale de tailler en pièces l’utopie « post-raciale », District 9 révèle un pessimisme hardcore. Pour aller au bout de son idée, Blomkamp prend même le risque de rendre son film repoussant, à l’encontre de tout bon sens hollywoodien. Filmé caméra à l’épaule et pas timide quand il s’agit de fouiller la merde, D-9 dépasse par moments sa nature semi-parodique et ressemble à un impressionnant traité sur la fange et la pourriture, traversant sur les pas de son héros un territoire désolé. Repérer les endroits sur la carte où la communauté n’existe plus, pointer sa caméra dessus : peut-être bien la définition d’un film politique en 2009.
Débuté comme un épisode de The Office qui tournerait mal (un abruti bombardé chef nous fait le tour de son service avant de se voir propulsé sur le terrain – pas une bonne idée !) et scandé par des faux témoignages flippants, le film convoque sans broncher les références costaudes, de Starship Troopers à La Mouche. Pas aussi fort conceptuellement que son aîné Cloverfield, qui suivait son principe de base (un home-movie en plein cauchemar) jusqu’au bout, D-9 oublie parfois en chemin son dispositif de « docu-menteur » pour muer en film de baston comme un autre. Mais il trouve sa singularité dans l’amour du personnage principal qu’il parvient à provoquer (et il y avait du boulot !) comme dans ses ressorts poétiques, sublimés par un dernier plan d’une puissance inouïe, dont on ne vous dira évidemment rien. Ce n’est pas si grave : District 9 sort le 16 septembre.
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