Fidèle aux codes de son édition classique, Festival international du film fantastique de Gérardmer se décline en version dématérialisée avec une programmation éclectique sous le patronage informel de David Cronenberg, entre horreur distanciée et nouveau souffle du cinéma français.
Pour sa 28e édition, le Festival international du film fantastique de Gérardmer, présidé par Bertrand Bonello, a fait le pari de proposer un festival en ligne tout en respectant les contours habituels d’une édition physique. Toutes les sections traditionnelles sont ainsi maintenues et visibles dans la limite d’une jauge de places virtuelles, soit gratuitement (courts métrages, section Rétromania, masterclass), soit au prix de 5 euros la séance (compétition, hors compétition, séance spéciale).
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Pour cette édition virtuelle, Host de Rob Savage porte assez naturellement le rôle d’ambassadeur. Buzz retentissant depuis sa diffusion cet été sur la plateforme Shudder, ce film d’horreur britannique, tourné pendant le confinement, met en scène une séance de spiritisme par écrans interposés, exécutée sur le logiciel de visioconférence Zoom. Bien foutu et terriblement immersif, le film, présenté en compétition, est paré d’une couche méta qui l’assure déjà d’être un temps fort du festival.
L’autre grande attente est diffusée en séance spéciale et se nomme Aya et la Sorcière. Réalisé par Miyazaki fils, c’est le premier film tourné en 3D et en images de synthèse par le Studio Ghibli. Si cette nouvelle nature d’images devrait en déstabiliser plus d’un·e dans les premières minutes du film, le dessin d’Aya et la Sorcière s’avère être une jolie réussite et permet une refonte particulièrement rafraîchissante de l’univers du studio japonais. C’est, en revanche, du côté du récit et du développement des personnages que l’opus laisse un goût d’inachevé. Un résultat pas désagréable, mais à ranger du côté des rares œuvres mineures de Ghibli. Peut-être que le film a été pensé comme un épisode transitoire, en attendant le prochain film de Miyazaki père prévu pour 2023.
Le cinéma français retrouve pour sa part une place centrale dans cette édition avec deux très belles réussites en compétition
Pour oublier cette déception, on gardera un œil attentif sur un autre film d’animation, Beauty Water, du Sud-Coréen Cho Kyung-hun. Ce conte horrifique devrait poser un regard particulièrement acerbe sur la quête de la perfection plastique à l’ère d’Instagram.
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Moins incisif depuis quelques éditions, réitérant difficilement le phénomène réalisé par Grave (de Julia Ducournau) en 2017, le cinéma français retrouve pour sa part une place centrale dans cette édition avec deux très belles réussites en compétition : Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma et La Nuée de Just Philippot.
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Le premier est un film de loup-garou déguisé en teen movie (ou l’inverse). Comme si la caméra à fleur de peau et gorgée de spleen de Poggi/Vinel se faisait pirater par la bizarrerie d’un épisode de P’tit Quinquin (en plus soft). Le second est un autre film métamorphe, aussi à l’aise et pertinent dans sa peinture sociale que dans l’élaboration d’un pur cinéma fantastique. Just Philippot y dépeint un saisissant tableau du milieu agricole obligé pour survivre de s’inscrire dans une course effrénée à la compétitivité, tout en imprimant dans la rétine des spectateur·trices son lot de visions inoubliables dont l’ampleur paraît à ce jour inédite dans le cinéma fantastique français.
Dans la famile Cronenberg, je demande le père et le fils
Après Grave, dans lequel Julia Ducournau déclarait son amour au cinéma de David Cronenberg (projeté gratuitement en section Cinexperience), il est d’ailleurs frappant de voir l’influence du cinéaste canadien se diffuser dans La Nuée et Teddy. On pense autant à Scanners (1981), et ses êtres génétiquement modifiés, qu’à La Mouche (1986) dans la manière dont les deux films saisissent avec une attention clinique la lente métamorphose d’un corps vers sa version chimérique. C’est la marque des grand·es cinéastes : même lorsqu’il·elles ne tournent plus (le dernier film du Canadien remonte à 2014), il·elles prolongent leur existence dans les films des autres.
Une progéniture qui se poursuit au sein de la compétition avec Possessor, réalisé par Brandon Cronenberg. Le fils de l’auteur de Crash signe un thriller étrange et malin qui relate comment l’employée d’une organisation secrète prend possession de corps étrangers pour les pousser à commettre des assassinats. Domptant l’imagerie glaciale de son premier film (Antiviral, 2012) pour un esthétisme toujours aussi conceptuel et aseptisé mais beaucoup plus incarné, Brandon Cronenberg réussit quelques coups de force formels (notamment les séquences de synchronisation/désynchronisation entre les corps). Si les thématiques rappellent certaines obsessions du père, le fils s’en affranchit pour les faire dialoguer avec son propre univers.
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Ajoutez à cela la présence du superbe Chromosome 3 de David Cronenberg dans la section Rétromania (accompagné entre autres du Loup-Garou de Londres de John Landis et de The Addiction d’Abel Ferrara), c’est peu dire que le cinéaste canadien sera partout lors de cette édition 2.0 de Gérardmer. Filmant comme personne les écrans (Vidéodrome, 1983) et les maillages du virtuel (ExistenZ, 1999), qui d’autre que lui pouvait tenir ce rôle de parrain secret ?
Festival international du film fantastique de Gérardmer jusqu’au 31 janvier
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