Sombres héros. Des accents de film noir dans la guerre fratricide de la gauche marxiste des années 30, dépeinte avec retenue. En 1938 à Paris, une guerre secrète fait rage dans les rangs de l’extrême gauche. Avec d’un côté les staliniens, qui ont le vent en poupe, de l’autre, les renégats du marxisme-léninisme, qui s’alignent […]
Sombres héros. Des accents de film noir dans la guerre fratricide de la gauche marxiste des années 30, dépeinte avec retenue.
En 1938 à Paris, une guerre secrète fait rage dans les rangs de l’extrême gauche. Avec d’un côté les staliniens, qui ont le vent en poupe, de l’autre, les renégats du marxisme-léninisme, qui s’alignent derrière la figure maudite de Lev Bronstein, alias Léon Trotski, l’ex-patron de l’armée Rouge réfugié au Mexique. C’est essentiellement à ces romantiques trotskistes, traqués par la GPU (police de Staline), que Gilles Bourdos consacre son sobre premier long métrage, émaillé de quelques touches sur l’ambiance artistique et morale de l’époque. Le récit commence au présent, ou quasiment, en 1989, au moment de la chute du mur de Berlin, quand une jeune femme exhume un journal intime qui servira de fil d’Ariane à ce récit archéologique.
Cette façon de partir d’un témoignage concret pour faire revivre le passé politique rappelle Land and freedom de Ken Loach, situé à la même époque, dans le même camp politique, mais sur le front de la guerre d’Espagne. Les deux films ont même un acteur en commun, Frédéric Pierrot, qui joue ici le rôle du chef de cellule du POI (Parti ouvrier internationaliste), où milite le héros, Katz (Grégoire Colin). Mais, grande différence, Bourdos ne sacrifie à aucun moment aux images d’Epinal chères au gauchiste anglais. Bien que décrivant, comme Loach, la débâcle, les dissensions et autres règlements de comptes dans le camp trotskiste, il se garde bien de faire des staliniens de sinistres pantins. Dans Disparus, chacun a ses raisons, y compris les plus obscures et tortueuses (celles de Jacques Mornard, alias Ramón Mercader, futur exécuteur de Trotski). C’est un film grave et sombre mais en demi-teintes, pas manichéen pour un kopeck.
La vraie référence qui a nourri le film vient d’ailleurs : c’est Miller’s Crossing des frères Coen, dont le cinéaste a recyclé l’esthétique abstraite (cf. les plans angoissants d’hommes en chapeau dans une forêt), mais aussi la thématique paranoïaque de la trahison. Cette influence bénéfique se traduit par une sorte de froideur anxiogène qui tranche avec les reconstitutions rétros habituelles, mises en scène par les brocanteurs du cinéma. Cela dit, Bourdos n’échappe pas totalement au pittoresque, en particulier quand il dépeint l’univers surréaliste où évolue Mila (Anouk Grinberg, en progrès), maîtresse de Katz et de son frère ennemi stalinien Félix (Xavier Beauvois). Cette toile de fond mondaine interfère un peu avec la violence politique, avec le climat délétère de l’ensemble. On se serait aisément passé, par exemple, de la séance de pose chez Man Ray ou du pince-fesses avec André Breton. Mais ce ne sont que vétilles en regard de la belle obstination du cinéaste à maintenir la pression de bout en bout, jusqu’à la révélation finale dans un présent en pleine Bérézina idéologique.
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