Dans l’excellent Dirty Pretty Things de Stephen Frears, Audrey Tautou trouve le chemin de l’après-Amélie Poulain. Il l’a conduite de Montmartre à Londres.
Avouons-le : avant d’avoir vu Dirty Pretty Things, nous craignions le pire. Comment Audrey Tautou allait-elle réussir à jouer le rôle d’une jeune Turque dans un film anglais sans sombrer dans les clichés ? « Je me suis dit moi aussi que personne n’allait y croire !, avoue la jeune actrice. Sincèrement ! » Or, dès sa première apparition dans le film de Frears, Audrey Tautou fait tomber toutes nos appréhensions, réussissant à être crédible sans jamais donner l’impression d’accomplir une performance. « Je me suis bouché les oreilles à chaque fois que je prononçais une phrase, parce que je savais qu’à chaque fois que je m’écouterais, je me focaliserais là-dessus et que je serais totalement éc’urée. Je me suis dit : dans tous les cas, tu ne peux pas juger ton parler parce que tu n’es pas anglaise donc tu ne sais pas si tes phrases sonnent juste ou faux. Je pouvais juste voir si les émotions, les situations, les regards étaient justes ou en tout cas sincères. Quand j’ai vu le film, j’ai eu l’impression que c’était un film réalisé avec trucages… »
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Comment donner une explication à ce sortilège sans employer le mot « talent » assez galvaudé pour qu’on hésite d’habitude à l’employer à tout propos. On pourrait bien sûr dire qu’Audrey Tautou a été assistée, ou qu’elle n’était pas dirigée par un tâcheron. Mais tous les metteurs en scène et tous les coaches du monde n’y suffiraient pas. Oui, c’est évident, Audrey Tautou a le talent nécessaire pour se tirer d’un rôle casse-gueule et donner à ce qui n’est qu’un second rôle une présence qui le rend aussi marquant que le rôle principal.
Pourquoi avoir relevé ce défi ? « J’étais très enthousiaste à l’idée de travailler avec Stephen Frears, et puis j’ai beaucoup aimé le scénario et l’évolution de l’intrigue. Concernant l’accent turc, je n’ai pas trop réalisé. Je dois avouer que j’avais un peu oublié que je devrais jouer avec l’accent turc… Il est sûr que je ne savais pas bien parler l’anglais, mais je me doutais que Stephen Frears ne me laisserait pas faire quelque chose de catastrophique. En fait, ça a surtout été de l’inconscience. »
Deuxième défi : tourner un film à l’étranger. « Le premier jour, sur le plateau, j’étais complètement perdue. J’avais l’impression que le matériel ne fonctionnait pas de la même manière… Je ne savais même pas où je devais me mettre pour ne pas me trouver dans le champ de la caméra. En plus, le premier assistant réalisateur était écossais. Les Ecossais ont un accent à couper au couteau. Je ne comprenais rien à ce qu’il disait. La situation dans laquelle j’étais celle d’une étrangère qui ne connaît pas la culture, qui découvre une ville, qui ne comprend pas la langue, qui est dans un cocon bizarre , tout cela me mettait, toutes proportions gardées bien sûr, dans la situation du personnage que j’incarnais. »
Pour se mettre dans la peau du personnage, Audrey Tautou a rencontré des jeunes femmes turques « pour la langue, pour connaître un peu leur histoire, pour essayer de savoir si les situations du scénario étaient justes et si les idées que je pouvais avoir étaient réalistes ».
Qu’Audrey Tautou accepte de nous rencontrer à l’occasion du très bon film de Stephen Frears, et cela deux ans après la polémique sur Amélie Poulain provoquée par un article de notre critique Serge Kaganski, dans lequel il écrivait : « Il est temps de dire tout le mal qu’on pense de ce film à l’esthétisme figé et qui, surtout, présente une France rétrograde, ethniquement nettoyée, nauséabonde. » (Libération du 31 mai 2001) , était très appréciable. D’autant que notre rencontre avait lieu quelques jours seulement avant le début du tournage du prochain film de Jean-Pierre Jeunet…
Mais, du coup, dès l’entrée de l’actrice dans le vaste salon où se déroulait l’entretien, il était manifeste qu’Audrey Tautou était nerveuse, que l’ombre de « l’affaire » planait au-dessus de nous : « Ce que j’ai pensé de la polémique, c’est qu’il y avait une guerre d’ego dans l’idée de s’attaquer à quelque chose d’aussi grand. De cette façon, il y a quelque chose d’un petit peu racoleur et commercial dans la critique de votre collègue. » confia-t-elle plus tard. Ainsi, au fil de la conversation, l’actrice se montra parfois agacée ou condescendante à notre égard, mais sut aussi, à la fin de l’entretien, signifier élégamment qu’elle regrettait que nous nous soyons parfois mal compris. A 24 ans seulement, il n’est sans doute pas évident de porter le poids d’un succès écrasant et d’accorder une interview à un magazine qui s’est montré résolument hostile à un film dont l’héroïne est restée attachée à votre nom. Mais Dirty Pretty Things prouve qu’il y a bien un après-Amélie Poulain pour Audrey Tautou. ||
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