Tournant le dos à la narration traditionnelle, Jean-Daniel Pollet investit le cinéma de la poésie et médite à partir des textes de Francis Ponge. Jean-Daniel Pollet s’est fait connaître grâce à des films doux-amers, presque populistes tels que L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste (1968), L’Acrobate (1976), dans lesquels il utilisait avec bonheur le profil […]
Tournant le dos à la narration traditionnelle, Jean-Daniel Pollet investit le cinéma de la poésie et médite à partir des textes de Francis Ponge.
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Jean-Daniel Pollet s’est fait connaître grâce à des films doux-amers, presque populistes tels que L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste (1968), L’Acrobate (1976), dans lesquels il utilisait avec bonheur le profil keatonien de Claude Melki. Des films singulièrement attachants qu’on revoit avec toujours autant de plaisir (c’était le cas récemment avec L’Acrobate sur Arte). Mais il existe une autre filmographie pollettienne, plus austère, plus cérébrale, qui démarre en 1963 avec Méditerranée, film en plans fixes avec commentaire de Philippe Sollers. C’est dans cette veine que s’inscrit Dieu sait quoi, sa dernière livraison. L’ambition est de mettre à plat ce que peut être le cinéma. Tournant le dos à la narration, Pollet imagine juxtaposer des plans comme le poète aligne les mots. Naît alors un cinéma que l’on pourrait qualifier de « poésie ». Un cinéma qui demande de la concentration au spectateur habitué au train-train fictionnel. Mais cette exigence est compensée par toutes les pistes que défriche Pollet. Dans Méditerranée déjà, chaque plan ne contenait qu’un objet sans qu’aucune scorie ne vienne brouiller le message : un banc devenait le banc, une pyramide devenait la pyramide. Par le travail de montage, ces images-mots s’articulaient en un discours, poursuivi dans Contretemps (1988). Cet intérêt pour les choses ne pouvait que croiser l’œuvre de Francis Ponge, fameux auteur du Parti pris des choses. Voilà donc l’objet du vingt-quatrième film de Jean-Daniel Pollet : illustrer la primauté ontologique des choses, affirmer l’autonomie de leur existence. Une citation de Ponge prononcée à deux reprises en donne le programme : « Nous ferons des pas merveilleux… L’homme fera des pas merveilleux s’il redescend aux choses, comme il faut redescendre aux mots pour s’exprimer convenablement. » A l’instar du poète, le cinéaste affiche une volonté de dépouillement, sa mise en scène est aussi simple que possible : plans fixes, travellings latéraux à l’intérieur d’une pièce allant et venant entre une vieille Underwood trônant sous un portrait de Francis Ponge et un poste de télé diffusant sans son des films de Jean-Daniel Pollet, panoramiques autour d’une table sur laquelle repose un verre ou une concentration de cruches. Ce filmage minutieux et objectif n’exclut pas l’admiration, mais manque peut-être parfois de tendresse. Si c’est indéniablement beau (quoique dans ce registre, les Straub aient certainement frappé encore plus fort), ce n’est pas très gai, un peu oppressant (« Nous sommes les otages du monde muet »), et parfois même semble-t-il, légèrement misanthrope. Dans La Rencontre (toujours visible au Saint-André-des-Arts), Alain Cavalier filmait des objets, mais parce qu’ils étaient à la fois témoins et témoignages d’une relation amoureuse. Ici, Pollet ne cherche qu’à rendre aux choses leur dignité originelle et du coup, en toute logique, évacue la présence humaine, même si une chose peut être une trace humaine : aussi bien un objet (cruche, verre, machine à écrire, télévision…) qu’une œuvre d’art (livres de Ponge, reproduction d’un tableau de Matisse, portrait de Picasso…). Cette réserve n’en est bien sûr pas vraiment une : la voix off de Michael Lonsdale, l’apparition sur un poste de télé de Philippe Sollers récitant des passage des Litanies de Satan par Baudelaire sont des interventions tellement humaines qu’elles risquent même de parasiter pour les plus intégristes cette restitution aux choses de leur dignité originelle. Cela pourrait faire rire, mais ce serait certainement une erreur de ne pas prendre en compte la démarche exprimée par Jean-Daniel Pollet, question de distance, affaire de morale : « Je cherche d’abord avec mon appareil photo la « bonne » distance avant de tourner. Vous reculez d’un mètre il n’y a plus rien, vous avancez d’un mètre il n’y a plus rien. Il n’y a qu’un seul endroit juste pour poser la caméra. » Ce souci de l’endroit juste n’est pas nouveau, mais le mérite de Jean-Daniel Pollet est d’y travailler en toute sincérité. Mieux : il refuse de prendre le spectateur en otage. Là où Ponge ouvrait les plus grandes perspectives à une réflexion sur le langage, Pollet invite à réfléchir sur le cinéma. On peut ne pas apprécier ses réponses, mais impossible de nier la pertinence de ses questions.
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