Nous sommes dans une petite (et magnifique) ville hongroise, à une époque indéterminée (le début ou le milieu de ce siècle ?). Une jeune fille raconte sa vie quotidienne en voix off : les relations entre son père et sa mère, son amour non avoué pour un étudiant (elle n’a que 13 ans), les promenades […]
Nous sommes dans une petite (et magnifique) ville hongroise, à une époque indéterminée (le début ou le milieu de ce siècle ?). Une jeune fille raconte sa vie quotidienne en voix off : les relations entre son père et sa mère, son amour non avoué pour un étudiant (elle n’a que 13 ans), les promenades en vélo avec une copine… Le réalisateur, Andras Jeles, élabore une mise en scène inventive, poétique, qui correspond souvent au point de vue de la fillette : de fait, les images défilant sous nos yeux correspondent plus à un univers mental qu’à une reconstitution naturaliste, les décors et les costumes sont superbes sans figer le film dans une imagerie d’Epinal. L’atmosphère bourgeoise et surannée de cette chronique familiale est pourtant souterrainement travaillée par un sentiment de danger indéfinissable. Est-ce le ton plutôt grave et monocorde de la voix off, l’agitation des adultes, ou le surgissement de petits événements comme la disparition d’une copine ? Toujours est-il que sous les coquettes rues pavées, entre les napperons et les jolies robes, une menace plane. Il est par exemple étrange que l’héroïne reste seule, quasiment cloîtrée dans sa maison, avec pour seuls échappatoire et compagnon le roman David Copperfield. Finalement, vers le milieu du film, ce qu’on pressentait vaguement se précise : on est en 44, la fillette (telle une proche cousine d’Anne Frank) est issue d’une famille juive et les semaines qu’elle chronique sont les dernières avant la vague brutale et massive des déportations (en Hongrie, les juifs furent déportés tard, en 44, mais quasiment d’un seul coup, en l’espace d’un mois ou deux). Dès lors, tout ce qui n’était qu’allusif se précise et le film passe d’une tonalité intime et poétique à une reconstitution historique beaucoup plus conventionnelle. Du coup, apparaissent sur l’écran des nazis, des rafles, et toute la dernière partie du film est la énième représentation sentimentale des souffrances juives pendant la dernière guerre, avec sa dose un peu lourde de pathos, le genre de fiction illustrative inutile que l’on pensait ne plus revoir sur un écran depuis Shoah de Lanzmann (mieux vaut réfléchir sur le rapport entre le cinéma et cette période historique spéciale plutôt que rajouter une couche supplémentaire d’images de déportations fictives). Il est dommage que le cinéaste ne s’en soit pas tenu à l’onirisme plus abstrait de la première partie (très réussie), parti pris qui laissait justement au spectateur la liberté d’imaginer ce pire qui prend lourdement forme par la suite.
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