Géraldine Pailhas n’a jamais été filmée par Benoît Jacquot. On se dit pourtant, en la voyant pour la première fois se prêter à un film en forme de portrait de (presque) femme, qu’elle aurait fort bien pu figurer parmi les adolescentes que le cinéaste a contribué à faire connaître du grand public, comme Judith Godrèche […]
Géraldine Pailhas n’a jamais été filmée par Benoît Jacquot. On se dit pourtant, en la voyant pour la première fois se prêter à un film en forme de portrait de (presque) femme, qu’elle aurait fort bien pu figurer parmi les adolescentes que le cinéaste a contribué à faire connaître du grand public, comme Judith Godrèche ou Virginie Ledoyen. De fait, à l’inverse de ces ex-jeunes premières dont l’entrée fracassante en cinéma a ouvert, les années passant, sur un flottement de carrière, Géraldine Pailhas fait partie de ces comédiennes qui entrent sur la pointe des pieds (même si cette discrète irruption lui valut le César du meilleur espoir féminin en 1992 pour sa prestation dans La Neige et le Feu de Claude Pinoteau, et un très beau rôle chez Pialat) et se forgent au fil du temps un rayonnement durable dans le cinéma.
Comme s’il manquait pourtant à l’actrice un socle fondateur pour asseoir son talent, Didine s’offre d’abord comme un film qui vient réparer cet oubli. Deuxième long métrage de Vincent Dietschy, ex-étudiant de l’Idhec, producteur des premiers films de Laurent Cantet et auteur du remarqué Julie est amoureuse en 1998, cette comédie douce-amère au titre malheureusement peu engageant avait pour vocation, entre autres, d’arracher Géraldine Pailhas aux seconds rôles, et de la replacer au premier plan d’une fiction : “J’ai toujours trouvé Géraldine un peu planquée. On la voyait systématiquement dans des films choraux, et jamais au centre d’une histoire.” Didine raconte les tribulations d’une jeune femme plutôt taciturne, voire insensible, qu’une série d’événements va forcer à affronter des émotions qu’elle s’était appliqué jusqu’ici à tenir à l’écart de sa vie.
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Histoire d’une naissance à soi : jusque-là, rien de très original. Une anomalie s’est pourtant glissée dans cette équation a priori parfaitement dosée du film initiatique. Didine n’a pas 20 ans, comme ce genre de scénario pourrait traditionnellement le laisser supposer. Ni même 25. Car Didine, 35 ans pas moins, s’est offert un séjour prolongé dans la jeunesse : marquée par cette absence au monde qui caractérise l’adolescence, atteinte de mutisme chronique, offrant son corps à des hommes de passage qui le restent.
Aucune résistance visible à l’émotion, mais une existence plutôt souriante maintenue sous anesthésie générale : “Au début, je ne me suis pas sentie capable de jouer ce rôle, raconte l’actrice, le personnage était trop juvénile, on aurait dit que le temps s’était arrêté sur lui.” En créant un décalage entre l’âge de son héroïne et des problématiques classiquement adolescentes, Dietschy instaure un léger malaise, tout en auréolant cette trajectoire féminine d’une dimension insolite : “Cet écart permettait de créer du burlesque, en même temps qu’un sens tragique.”
La première partie du film se construit ainsi sur une série d’anecdotes légères, où l’on apprend à appréhender ce matériau un peu opaque qu’est le personnage, qui se retrouve plus ou moins volontairement engagé dans une association d’aide aux personnes âgées. Puis peu à peu, sans qu’on en saisisse clairement le processus, l’histoire se teinte d’une curieuse gravité. Le ton se gâte, sans raison apparente. Mine de rien, Didine laisse pénétrer la vie en elle. L’émotion surgit en vrac, confusément. La bouche veut embrasser, mais se trompe de destinataire. Le cœur veut battre, mais choisit mal son lieu (formidable scène du coup de fil aux toilettes).
Paradoxalement, ce mouvement de libération a pour effet de dévitaliser l’existence de ceux qui sont attachés à la jeune femme. La fréquentation d’une sublime et acariâtre vieille dame, incarnée par l’irrésistible Edith Scob – qui, avec une économie de texte et de jeu, met le feu au film, lui donnant toute l’insolence dont il aurait pu manquer –, vient interférer dans ses rapports avec une meilleure amie maniaco-dépressive qui a toujours tout décidé à sa place, et un amoureux transi bien que non déclaré – auquel Benjamin Biolay, pour la première fois au cinéma, prête son espèce de désinvolture empêtrée pleine de menues surprises : “Je suis attiré par les acteurs qui ne disparaissent pas totalement derrière leur personnage, explique Vincent Dietschy. Toutes mes copines me parlaient de Benjamin. Ça m’énervait, j’avais envie de le claquer. Jusqu’au jour où j’ai été complètement subjugué par une photo de lui dans un Virgin.” L’actrice le dit : “La métaphore animalière dont use le film pour parler de Didine est la libellule, qu’on associe à la légèreté, à la transparence, à l’été. On oublie que c’est aussi une bestiole carnassière.” Le personnage a un côté ange nocif, force passive qui vampirise une partie de ce qui l’entoure pour trouver les ressources nécessaires à son éclosion. Là réside toute la grâce dissonante de ce film qui a eu l’intelligence de trouver l’actrice dont le tempo collait à celui de son personnage : “J’ai longtemps vécu de manière très compliquée le fait d’être actrice. Jusqu’au jour où, sur le tournage de L’Adversaire, Nicole Garcia m’a dit : “Mais tu as un orgueil énorme !” Tout d’un coup, j’ai cessé de redouter certaines choses. Je me suis sentie enfin capable.”
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