Récit autour de la construction d’un quartier “à l’européenne” dans une grande ville asiatique.
On avait repéré ce jeune cinéaste français d’origine cambodgienne avec un très beau documentaire, Le Sommeil d’or, sur la destruction et l’enfouissement du cinéma cambodgien par le régime des Khmers rouges. Ce film transcendait sa matière historique et documentaire par une mise en scène ambitieuse, elle-même inspirée des fictions chamarrées dont elle ravivait la mémoire.
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On n’est donc pas étonné que Davy Chou réussisse haut la main le passage du docu à la fiction, d’autant que si Le Sommeil d’or était infusé de fiction, Diamond Island est en retour imbibé de docu. La part réaliste du film, c’est la situation des jeunes des campagnes qui, à l’instar de Bora, le personnage principal, viennent tenter leur chance dans la grande ville et y rencontrent la condition d’ouvriers corvéables à merci et payés au lance-pierre, dans le contexte du libéralisme globalisé. L’ironie amère, c’est que ces damnés de la sphère économique transpirent pour édifier un quartier-enclave de luxe – le “Diamond Island” du titre – dont une publicité insérée au début du film vante le style “à l’européenne”, soit un confort standardisé très éloigné du raffinement extrême de l’architecture locale – autre ironie sombre.
Si ce contexte sociopolitique assure de solides fondations à son film, Davy Chou s’en élève avec une facilité incroyable pour aller tutoyer des sommets de poésie électrique et de mélancolie insidieuse. Bora cherche Solei, son grand frère parti des années auparavant sans plus donner de nouvelles. Il finit par le retrouver, figure énigmatique qui semble définitivement absorbée par les pièges les plus délétères de la réalité urbaine. Sur un pôle plus lumineux, Bora rencontre aussi la belle Aza, autochtone reléguée du quartier de Diamond Island, qui apporte au film son parfum romantique et une splendide scène de premier baiser, figure ultra-usée du cinéma que Chou parvient à réinvestir du tressaillement des premières fois.
Ce récit d’apprentissage, a priori banal, est constamment enluminé par l’inspiration du cinéaste : les néons clignotants d’une fête foraine, les volumes géométriques des immeubles en chantier, les luminescences de gadgets fluo, la beauté voluptueuse des visages des jeunes acteurs aux lèvres charnues comme des fruits mûrs, la pop asiatique, les dialogues murmurés composent une élégie urbaine et sensuelle qui évoque parfois les plus beaux moments de Jia Zhangke, Hou Hsiao-hsien ou Apichatpong Weerasethakul, sans jamais tomber dans l’ornière citationnelle.
Comme Bora (sa projection de fiction), Davy Chou recherche la transmission de ses aînés, mais, contrairement à son personnage, il l’a trouvée en engageant un dialogue de cinéma déjà splendidement fécond avec le continent de ses ascendants et de ses maîtres.
Diamond Island de Davy Chou (Fr., Camb., Thaï., All., 2016, 1 h 44)
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