Actrice régulière chez Jonás Trueba (“Eva en août”, “Venez voir”), Itsaso Arana vient de réaliser un premier long métrage réjouissant : “Les Filles vont bien”. Elle raconte son désir de réformer la fabrication des films et le besoin de se positionner en marge.
Son apparition reste inoubliable. Elle était de tous les plans, déambulant dans la chaleur étouffante d’un été madrilène dans le merveilleux Eva en Août de Jonás Trueba (2020) dont elle coécrivait le scénario. Déjà à l’affiche du film de son fidèle partenaire dans La Reconquista (2016), puis à nouveau dans Venez voir sorti au début de l’année, Itsaso Arana passe le pas de la réalisation avec un premier long métrage réjouissant en salles ce mercredi : Les filles vont bien.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Lorsqu’on l’interroge sur la généalogie de ce désir de mise en scène, Itsaso Arana nous confie qu’elle a l’impression d’être née avec, qu’il semble avoir toujours été là. Venue du théâtre, pour elle écrire, jouer, réaliser font partie d’un même mouvement. L’actrice et réalisatrice nous témoigne pourtant combien sa rencontre avec Jonás Trueba va venir bouleverser son rapport à la fabrication des films. : “J’ai découvert à travers lui une philosophie du cinéma qui résonnait en moi, qui ne m’était pas étrangère, qui me rendait le cinéma accessible. Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire un cinéma qui soit humaniste, accessible, avec un budget très limité, mais avec une sorte de luxe pauvre.”
“Une force qui émane de cette fragilité”
Derrière et devant la caméra de ce premier long métrage, la double présence d’Itsaso Arana opère aussi bien un reflet du processus créatif du film en train de se faire (elle incarne une metteuse en scène en charge des répétitions d’une pièce de théâtre auprès de quatre actrices) que de permettre de rétablir un niveau d’égalité avec ses collaboratrices. “C’est une place qui me faisait prendre le même risque et me confiait le même degré d’exposition que mes camarades actrices. Je partageais avec elle cette situation de vulnérabilité qu’est d’offrir son corps à l’image. C’est une position qui me permettait également de réécrire le scénario à l’envi et aux autres actrices, en me voyant, de s’autoriser des erreurs, de pouvoir réécrire à leur tour et d’assumer leurs propres fragilités.” confie la cinéaste.
Inventer la façon dont ce récit se construit, mais aussi réinventer le tournage de cinéma comme espace de réconciliation et de guérison, c’est la morale qui semble irriguer chaque plan de ce plaidoyer pour faire du cinéma autrement. “C’est vraiment ce à quoi je veux aspirer, c’est le cinéma que je veux faire. C’est-à-dire à la fois celui d’une fragilité, mais aussi d’une force qui émane de cette fragilité. C’est ça la matière humaine de cette création.” N’ayant reçu aucune subvention et ayant réalisé avec un budget extrêmement limité, le film puise ainsi sa singularité dans son positionnement totalement en marge des espaces de productions classiques. “Le scénario n’a été lu par personne, même pas par la production qui m’a tout simplement fait confiance.” déclare la réalisatrice.
Et lorsqu’on lui demande de commenter une réplique entendue dans un très beau monologue que la réalisatrice fait dire à son actrice Bárbara Lennie ( “Les films sont des lettres pour l’avenir”), Itsaso Arana relève combien le cinéma entretient pour elle un lien fort avec la mortalité. “Ce qui m’a beaucoup frappée en touchant au cinéma, c’est de réaliser à chaque fois que je finissais un film, que celui-ci me survivrait. En contraste avec le théâtre d’où je viens qui est éphémère, qui ne laisse aucune preuve et trace à transmettre de ce moment de ma vie. C’est un privilège, mais aussi une condamnation.” Un art de fantômes dont on retiendra surtout la naissance d’une cinéaste engagée et intrépide qui redessine, avec une gracieuse harmonie, le cinéma comme endroit de l’utopie.
{"type":"Banniere-Basse"}