Les affres d’un scénariste dans le dédale des récits qu’il invente. Une réflexion brillante et drôle sur le récit de cinéma.
En 1963, à une période charnière pour les studios d’Hollywood, Richard Quine, déjà auteur de L’Adorable Voisine (avec Kim Novak et James Stewart) en 1958, réalise un lointain remake de La Fête à Henriette de Julien Duvivier (1952) dont le scénariste, George Axelrod (Sept ans de réflexion, Diamants sur canapé…), conserve seulement la situation initiale : un scénariste peine à choisir parmi le canevas infini des récits (ou des élucubrations) s’offrant à son imagination. L’intérêt de Deux têtes folles (Paris When It Sizzles) est que Richard Quine déplace la vieille question de la panne de l’artiste, soudain impuissant à produire son œuvre, vers l’inquiétude postmoderne minant la croyance. Désormais réticent à croire en la multitude de scénarios possibles qui s’offrent à lui, l’auteur de cinéma, incapable d’écrire son film, sera contraint à le vivre.
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Que se passe-t-il lorsqu’un cinéaste et son scénariste ne parviennent plus à croire au film qu’ils doivent écrire et mettre en scène ? Dix ans après Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, et dix ans avant Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette, Richard Quine met en scène ce glissement tragicomique du cinéaste moderne (hollywoodien), passé insensiblement dans le camp du spectateur de son propre film en train de s’écrire et de se vivre sous ses yeux. Ainsi, le scénariste (William Holden) et sa secrétaire (Audrey Hepburn) imaginent une série de propositions narratives épuisant toutes les lois du genre : film d’espionnage, comédie musicale, love story, film historique en costumes, etc. De cette visite en accéléré à travers une sorte de version hollywoodienne du musée du Louvre (où sont entreposés toutes les époques et tous les genres), le spectateur retient que Richard Quine, à l’instar des cinéastes de la Nouvelle Vague que ses personnages s’amusent à tourner en dérision, met en scène la destruction frénétique, l’agonie agitée du scénario (cette parodie stérile de narration dont le film épuise la gamme limitée et les clichés), détrôné dans Deux têtes folles par l’improvisation loufoque et libre de la mise en scène. “Un cinéaste, c’est un peu comme un chanteur ou un jazzman. La création consiste dans l’exécution, non dans le thème”, déclarait Quine, plusieurs années avant son suicide en 1989, à l’âge de 69 ans.
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