Discutable dans sa façon de montrer l’oppression, un film dont le propos – dénoncer les violences policières racistes – est plus que jamais pertinent.
1967 : alors que la guerre du Vietnam fait rage, les Etats-Unis bouillonnent, comme une Cocotte-Minute, sur plusieurs feux croisés : opposition à la guerre, lutte pour les droits civiques, injustices sociales et raciales, violences policières. A la suite d’un contrôle arbitraire et brutal de trop, la communauté noire de Detroit s’enflamme, deux ans après celle de Watts. Au cœur des émeutes, un épisode révélateur : les flics séquestrent une bande de jeunes Noirs durant toute une nuit dans un motel, bafouant toutes procédures, les soumettant à un chantage odieux pour leur extorquer des aveux. Bilan : trois morts. Puis un procès dont les policiers sortiront acquittés. Kathryn Bigelow structure son film autour de cette nuit d’enfer, soumettant le spectateur à une règle des trois unités d’autant plus éprouvante que la tension originelle de la situation est bien transcrite par le style âpre et physique de la cinéaste.
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Bigelow s’adresse d’abord aux tripes du spectateur. Son intention est de lui faire éprouver le ressenti des Noirs : vivre sous la menace d’une action arbitraire et brutale de la police. Ce registre émotionnel est bien sûr discutable, parce que la longueur et la tension d’une telle séquence sont susceptibles de produire une jouissance du côté des bourreaux (même s’il est clair que le film est du côté des victimes), mais aussi parce que le spectateur antiraciste, déjà convaincu, préférerait peut-être une dimension plus analytique de la question raciale. Detroit se heurte à la même question que 12 Years a Slave de Steve McQueen : la représentation stricte de sévices est-elle le meilleur moyen d’avancer sur le thème de l’oppression ?
Reste que Detroit montre la mécanique politico-sociétale de la domination et que d’un point de vue dramaturgique, c’est un thriller d’action efficace, fondé sur une reconstitution précise et vivante de la ville de Joe Louis, de la Motown et du MC5.
Surtout, si Detroit évoque des événements de 1967, il parle évidemment d’aujourd’hui : de Ferguson à Aulnay-sous-Bois, de Rodney King à Trayvon Martin, de Zyed et Bouna à Adama Traoré, la liste des bavures racistes et de l’impunité des forces de l’ordre n’en finit plus de donner à ce film “historique” une pertinence contemporaine brûlante. Bigelow y proclame “black lives matter”.
Detroit de Kathryn Bigelow (E.-U., 2017, 2 h 23)
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