de Shinji Aoyamaavec Hiroshi Mikami, Maho ToyotaSélection officielle Après Eureka l’année dernière, film-monstre par sa durée et sa beauté formelle (en Scope et noir et blanc), Shinji Aoyama revient à Cannes avec Desert moon, avec son cadre carré “à l’ancienne” et ses couleurs contemporaines. Pas très bien accueilli par des journalistes en voie d’épuisement, le […]
de Shinji Aoyama
avec Hiroshi Mikami, Maho Toyota
Sélection officielle Après Eureka l’année dernière, film-monstre par sa durée et sa beauté formelle (en Scope et noir et blanc), Shinji Aoyama revient à Cannes avec Desert moon, avec son cadre carré « à l’ancienne » et ses couleurs contemporaines.
Pas très bien accueilli par des journalistes en voie d’épuisement, le film a souvent été jugé trop long et trop dit, répétitif et lourdingue. Il est vrai que dans Desert moon les trois personnages principaux n’arrêtent pas de mesurer l’étendue des dégâts, de se retourner sur leur destin pour tenter de déterminer les raisons de leur fourvoiement. Alors ils parlent, ressassent, essaient de s’appliquer des vérités générales et finissent par agacer tant on peut les trouver « raisonneurs ».
Ce n’est pas un défaut mais l’un des sujets du film : la faiblesse du langage et sa fonction consolatrice, devant le désarroi, l’effritement consommé de soi-même. Le chef d’entreprise en pleine débandade, sa femme et sa petite fille recluses dans des chambres d’hôtel pour lui échapper et le jeune prostitué qui vit dans la marge, dans une tanière en lisière de la ville pour échapper au système social dont son père est la facette mafieuse : tous les personnages sont coupés d’eux-mêmes, à la recherche affamée d’une unité introuvable et d’une impossible renaissance.
Que ça ne soit pas très gai, d’accord, mais comment ne pas voir que c’est par des solutions plastiques et non par le discours qu’Aoyama dresse le constat glaçant d’une amputation généralisée, de l’éloignement à l’intérieur de soi. Avec une aisance et une précision de filmage de plus en plus affirmées, il s’attache à montrer tout ce qui échappe à ses personnages, comment l’un est empoisonné par sa propre image de réussite et son babil quant à son éternelle capacité à rebondir alors qu’il n’est plus que ressassement, ou comment le beau giton porte sa lucidité comme un étendard, la dureté des mots se satisfaisant d’elle-même dans une détestation stérile.
Si Eureka se repaissait de sa propre beauté élégiaque, Desert moon court le risque du terne par sa manière de repousser les morceaux de bravoure au profit d’une précision presque chirurgicale. Le film ose accompagner le piétinement de ses personnages dans des séquences-blocs qui ont fait soupirer d’ennui alors qu’elles sont le reflet le plus exact possible de tous leurs blocages.
Quand il filme une rencontre sexuelle tarifée, Aoyama mélange compassion et acuité de regard pour montrer des postures corporelles gagnées par l’automatisation, vidées de tout plaisir. Comme tous les meilleurs cinéastes japonais de sa génération (Kiyoshi Kurosawa, par exemple, dont il a été le condisciple), il ne s’intéresse qu’aux liens à réinventer dans une sphère sociétale dont l’échec est consommé. Atomisés, ses personnages sont autant de trajets, d’échappées vers un improbable apaisement en forme de nouveau départ. Tous cherchent la sortie. A l’engluement répond une volonté de sauter soit dans le passé, soit dans l’avenir.
S’il n’est jamais cruel, Aoyama est aussi un cinéaste de l’ironie, qui s’amuse du contraste entre les dérisoires et régressives fixations de ses héros et l’ampleur bourdonnante d’un univers qu’ils ne peuvent plus voir tant leurs vies sont pesantes. Aussi étrange que beau, Desert moon a la fragilité des films qui vont jusqu’au bout de leur ambition sans chercher à séduire.
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