A travers des pubs pour du savon, découverte au Panthéon d’un vieux réalisateur de spots publicitaires suédois, un certain Ingmar Bergman…
Du 12 au 18 novembre au Cinéma du Panthéon (Paris, Ve), Ciné Nordica présentera une sélection du nouveau cinéma suédois et norvégien. On retient du pays d’Abba Morse de Tomas Alfredson, le meilleur film de vampires vu depuis des lustres, ainsi qu’Involontaires de Ruben Östlund et son humour à froid de Jacques Tati punk. La vitalité, on la retrouve aussi chez un réalisateur dont on pourra voir pour la première fois une série de pubs qu’il a réalisées : un certain Ingmar Bergman. Etre cinéaste et pubard a toujours été une position inconfortable, entre les yes men (le bataillon de réalisateurs de pubs devenus tâcherons à Hollywood), les stylistes se diluant dans la réclame sans âme (qui se souvient des spots de John Woo ou Wong Kar-Wai ?) et, plus rare, ceux qui sabotent avec plaisir la commande (Godard pour Marithé et François Girbaud).
Le cas de Bergman est autre. Ces spots sont certes alimentaires (il quittait alors la direction du théâtre de Göteborg, sortait d’un divorce et venait de se remarier) mais bénéficient d’une ambition artistiques et de moyens élevés. En 1951, la production cinématographique suédoise fut gelée en guise de protestation – par les compagnies de production – contre des taxes jugées trop élevées. Bergman accepta de tourner neuf spots pour une marque de savon, avec carte blanche quand au script et aux moyens. Le produit est merveilleux d’inventivité et de fraîcheur, comme autant de miniatures cinématographiques où il respecterait le message (le running gag « ce n’est pas la sueur qui provoque les odeurs, mais les bactéries ») tout en le transcendant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Situés à la cour royale suédoise ou dans un bloc opératoire, les spots sont ainsi parsemés des obsessions de Bergman : clowns, miroirs, théâtre ou nostalgie. Un personnage annonce même le Juif de Fanny et Alexandre. Il faut voir comment il reprend à son compte – avec une bataille de marionnettes – le vieux cliché édifiant et enfantin de la bactérie filmée au microscope. Ou soumet un brouillon ludique quinze ans avant, de l’éprouvant montage qui ouvrira Persona. La publicité la plus surprenante est sans doute un faux film 3D, où une femme au bain traverse littéralement l’écran et trempe le public comme dans une attraction à Disneyland. Technique qu’il jugeait ridicule (tout comme le Cinémascope) mais qu’il détourne pour assumer le caractère artificiel de ces spots (on y montre et démonte le plateau de tournage) et travailler le désir du spectateur, entre sensualité typiquement bergmanienne et pulsion de consommateur lambda.
Bergman retrouve aussi une seconde jeunesse sur le web grâce au site [attachment id=298]Ingmar Bergman Face to Face. Initié par la Fondation Bergman à Stockholm, ce site monstrueusement exhaustif (en anglais et en suédois) répertorie tout ce qu’il y à savoir sur l’artiste (filmographie, actualité, analyses…). Le grand chantier du site sera la numérisation de tous les documents personnels légués par Bergman (scénarii, notes de tournage ou pour le théâtre, photographies), à disposition de l’internaute. On n’y retrouvera peut-être pas comme perle cette lettre typique de l’humour bergmanien écrite à un producteur, et traduite avec un détachement nordique pour nous par une archiviste lors d’une récente visite à Stockholm : « je suis en train de tourner un film de viol dans les bois [La Source] ; je m’amuse comme un fou. »
Les publicités seront diffusées le 16 et le 18 novembre à 13h dans le cadre du festival CinéNordica (du 12 au 18 novembre au Cinéma du Panthéon) et au sein d’une large programmation de films suédois et norvégiens, avec notamment carte blanche à Arnaud Despleschin, ciné-concert, courts et longs-métrages.
[attachment id=298]www.ingmarbergman.se
{"type":"Banniere-Basse"}