A l’occasion de la sortie de « 120 battements par minute » coup de cœur de la rédaction, retour sur les films les plus marquants qui traitent, de près ou de loin, le sida.
Comment représenter le sida à l’écran. Par la fiction ou le documentaire ? Par l’intime ou la lutte d’une communauté ? Faut-il être seropo, seroneg, gay, bi, trans ou hétéro ? De Mauvais sang en 1986 à Dallas Buyers Club en 2013, le cinéma a prouvé qu’il pouvait faire un peu tout cela. Alors que 120 battements par minute la bouleversante fresque de Robin Campillo est dans nos salles depuis mercredi 23 août, voici un retour non exhaustif sur les films marquants qui ont porté un regard sur la maladie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les premières fictions aux USA
11 novembre 1985. 4 ans après la découverte de la maladie aux États-Unis alors connue sous le nom de « gay cancer », un téléfilm américain surgit de nulle part sur les ondes de la NBC. Intitulée Un printemps de glace, cette oeuvre de John Erman, faiseur inconnu du petit écran, s’attelle pour la première fois à la représentation du sida dans une fiction. Ce portrait pudique d’un jeune avocat devant révéler son homosexualité à ses collègues et sa famille lorsqu’il apprend qu’il est atteint du sida, fait dès sa diffusion, l’effet d’une bombe sur le public américain. Tom Shales du Washington Post parlera de « téléfilm le plus important de l’année ». Oeuvre précurseure qui pose courageusement les bases du film tout public sur le thème du sida – dont Philadephia héritera quelques années plus tard – Un printemps de glace trouve également une fonction de campagne informative auprès des téléspectateurs de l’époque, notamment sur les modes de transmissions de la maladie (rappelons qu’en ce temps-là, certains pensaient encore que le VIH se transmettait par seul contact physique).
Il faudra par la suite attendre 5 ans pour voir de nouveau une fiction américaine investir la question du sida avec Un compagnon de longue date de Norman René, film élégant qui suit un groupe de jeunes adultes séropositifs, de l’innocence des plages de Fire Island au début des années 80 jusqu’à la découverte de la maladie qui, en à peine 4 ans, les emportera.
La réponse française : Once more (Encore) de Paul Vecchiali (1988)
De l’autre côté de l’Atlantique, c’est en 1988 que le cinéaste français Paul Vecchiali place le sida au centre d’une fiction avec Once more (Encore). Étalé sur une décennie, le récit dresse le portrait intime de Louis, un quadragénaire marié qui découvre son homosexualité à la fin des années 70. Le spectateur l’accompagne durant ses premiers plans drague, son amour pour un homme nommé Frantz, l’acceptation de sa sexualité et puis les années 80 arrivent… Témoin des ravages de l’épidémie, Louis apprend à son tour qu’il est séropo et que la mort est inévitable. Mais la particularité du film de Vecchiali tient dans son refus du réalisme. Le sida est ici délaissé de tout aspect scientifique ou médical, la maladie qui l’emporte est mentale. Imperceptible, elle ne laisse paraître aucun symptôme ou stigmate sur le corps de Louis.
« Dracula », « La Reine Margot »… : les films métaphores
Si Once More (Encore) était le premier film français à évoquer frontalement le sida, quelques années plus tôt, en 1986, Mauvais Sang de Leos Carax était déjà infusé de références métaphoriques très claires sur l’épidémie. D’abord, son titre, évidemment, mais aussi par la mystérieuse maladie dont on nous parle dans le film. Dénommée STBO, elle affecte les couples qui font « l’amour sans l’amour ».
Parmi d’autres évocations plus implicites, La Reine Margot de Patrice Chéreau en 1994, film rouge marqué par l’omniprésence du sang montrait notamment Jean-Hugues Anglade en Charles IX agonisant sur son lit et dont le visage est recouvert de sueur d’hémoglobine. Là encore, dans une année où le sida produit une hécatombe on ne peut s’empêcher d’y voir une référence à la maladie. En 1992, Francis Ford Coppola dans son Dracula abandonne lui les évocations de la peste qu’on pouvait trouver dans Nosferatu de Murnau qu’il remplace par une imagerie plus contemporaine : des globules rouges circulant sur l’écran. Enfin Jean-Luc Lagarce dans sa pièce Juste la fin du monde puis Xavier Dolan dans l’adaptation éponyme en 2016, même si tous deux ne nomment jamais la maladie incurable de Louis, le personnage principal rendant visite à sa famille pour une dernière fois, c’est bien du sida dont il est question ici. Le dramaturge était lui même séropositif au moment de l’écriture et en succombera en 1995.
Les Nuits fauves de Cyril Collard (1992)
En 1992, Les Nuits fauves de Cyril Collard marque une rupture assez nette dans la représentation du sida. Alors que la majorité des films produits précédemment étaient hantés par la mort ou le deuil, Les Nuits fauves adapté du roman autobiographique du réalisateur, est un film d’amour, libertaire qui suit les errements sentimentaux et sexuels de Jean (Cyril Collard) un trentenaire bi et séropo. Fascinant paradoxe de ce film, le sida est partout et contamine l’image à chaque plan mais ne reste qu’un symbole abstrait. Il n’aura ni conséquence directe à l’écran (les marques de la maladie sur le corps de Jean sont à peine visibles) ni sur l’intrigue (à la fin du film Jean se tient face à la mer et regarde l’horizon. Il conclut : « Je vais probablement mourir du sida, mais ce n’est plus ma vie : je suis dans la vie. »). Au fond, Les Nuits fauves est un des premiers films à dépasser le statut d’objet didactique et de prévention sur la maladie. Déni ou pas, on s’en fout, Collard capte la vie et la fait triompher.
Hollywood : une vision mainstream mais nécessaire
Un an après le succès critique et public des Nuits fauves , Hollywood décide à son tour de dépeindre la maladie dans Philadelphia. Réalisé par Jonathan Demme, le film narre le procès d’Andrew Beckett (Tom Hanks) contre ses employeurs. Ce talentueux avocat homosexuel atteint du sida avait était en effet licencié par l’entreprise en raison de sa séropositivité. Philadelphia est certes un mélodrame plombé par ses bons sentiments et qui refuse malheureusement de caractériser son personnage au-delà de sa maladie (les scènes montrant plus d’affection entre Beckett et son compagnon ont été coupées au montage), il n’en reste pas moins un témoignage déterminant boosté par la participation de stars reconnues (« The Boss » Bruce Springsteen compose pour le film son tube Streets of Philadelphia ; le réalisateur est Jonathan Demme oscarisé en 1991 pour Le Silence des Agneaux) ainsi que les acteurs prometteurs que sont Denzel Washington et Tom Hanks à l’époque. Ce dernier trouve d’ailleurs la consécration en 1994 avec l’Oscar du meilleur acteur pour sa performance tandis que le film connaît un succès éclatant au box-office (77 446 440 de dollars de recettes aux USA et 2 741 445 entrées en France).
En 2013, près de deux décennies plus tard, un autre film hollywoodien aborde frontalement le sida : Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée. Inspiré de la véritable histoire de Ron Woodroof, le film relate le destin d’un cow-boy texan macho et homophobe (interprété par Matthew McConaughey). Mais quand on annonce à ce dernier qu’il est atteint du VIH et qu’il réalise que le corps médical est impuissant face à sa maladie, il décide de monter un club de guérison à base de médicaments antirétroviraux non officiels. Succès beaucoup plus modeste au box-office que son prédécesseur Philaldephia, le film permettra à Matthew McConaughey de décrocher à son tour une statuette lors de la 86ème cérémonie des Oscars en mars 2014.
Le sida, et alors ?
Présenté en compétition au festival de Cannes en 1995, Kids, le premier film du photographe Larry Clark ne passa pas inaperçu auprès du public, bien au contraire. Une bande d’ados errent dans New-York le temps d’une journée de canicule. Pour tuer le temps, ils se défoncent à tout ce qu’ils peuvent (alcool, beuh, kéta…) et puis ils baisent. Jelly, un skateur, a lui choisi de ne le faire qu’avec de très jeunes filles vierges pour se protéger de toutes maladies. Mais ce jour-là , une ancienne petite amie de Telly est déclarée positive à un test VIH et se met à sa recherche. Au centre d’une grande polémique à sa sortie, Kids incarne par excellence le film scandaleux tant pour la crudité des images que des thèmes abordés. Mais bien au-delà de ça, Kids est une chronique acerbe sur une jeunesse en perte de repères. Libérée de tout jugement moral, la caméra de Clark navigue avec sensibilité entre ces corps adolescents. Ici, le sida ne semble plus qu’être un problème parmi tant d’autres.
C’est dans ce sens que vont aller deux films français de la fin des 90’s : N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois (1995) et Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau (1998). Les cinéastes introduisent dans le récit des personnages séropositifs sans que cela en devienne pour autant le ressort narratif principal. Cette évolution peut s’expliquer par l’arrivée en simultané des trithérapies permettant aux personnes contaminées de survivre. Ainsi Benoit dans N’oublie pas que tu vas mourir refuse son destin de séropo et se lance tête baissée dans un voyage autodestructeur où il trouvera sur son chemin la drogue, l’amour d’une femme, les armes et la guerre en Yougoslavie. Encore plus elliptique, Chéreau fait glisser dans le scénario de Ceux qui m’aiment prendront le train Bruno (Sylvain Jacques), un personnage secondaire atteint du VIH. Sa séropositivité sera pourtant très vite dégagée des enjeux dramatiques du film.
Journaux intimes : Guibert, Jarman, Pinto
Comment crier sa souffrance et briser le silence alors que l’on se sait condamné par la maladie ? L’image et le son. C’est ce qu’ont choisi certains auteurs qui, en empoignant une caméra, décident de capter leur agonie et de la montrer au monde comme ultime témoignage. Parmi ces films testamentaires tournés à la première personne, on trouve le très beau La Pudeur ou l’Impudeur en 1992 de l’écrivain et journaliste Hervé Guibert. Son appartement, les allers-retours à l’hôpital, l’île d’Elbe, Guibert filme les dernières semaines de sa vie en conjuguant des images cliniques des ravages du sida sur son corps et des instants d’envolées poétiques.
Plus radical encore, le journal vidéo Silverlake Life: The View from Here (1993) de Peter Friedman et Tom Joslin. Le film suit Tom Joslin et Mark Massi, un couple séropositif vivant ensemble depuis 22 ans qui décident de montrer leur vie quotidienne jusqu’à l’agonie. Là encore le film alterne entre des moments de joie, de rires, de doutes. Et puis la maladie progresse, vite, plus vite que prévu, Tom s’affaiblit, il ne peut plus bouger, il doit rester au lit. Il agonise lentement. Il meurt. Alors Mark enlève le corps, récupère les cendres. Il essaye de faire le deuil avec un bouquin débile tout en sachant que sa mort à lui n’est plus très loin. Film essentiel dans la représentation du corps malade Silverlake Life: The View from Here est un face-à-face avec la mort aussi traumatisant, parfois insoutenable, qu’il est sublime. Car le tout est traversé par l’incroyable dignité de ce couple. Grâce au pouvoir des images, les ultimes secondes montreront leur l’amour l’emporter sur la mort.
La même année, dans Blue, le cinéaste britannique Derek Jarman ne livre aucune image de son agonie, seulement un carton bleu durant près d’une heure. A moitié aveugle à cause de la maladie, Jarman immerge le spectateur dans son corps mourant, préférant lui faire ressentir le virus par le son (il lit son journal intime en voix-off) plutôt que de lui montrer. Et Maintenant ? de Joaquim Pinto (2014) offre lui un regard contemporain à la maladie. Atteint depuis 20 ans par le VIH, le cinéaste portugais filme avec une grande poésie un an de sa vie dans la campagne de Lisbonne alors qu’il suit un nouveau protocole pour se soigner.
https://www.youtube.com/watch?v=8t6r6S0WEKg
A la télévision
Alors que la télé avait avait vu naître la première fiction sur le sida avec Un printemps de glace , ce n’est que depuis peu que la question de la maladie a été réinvestie sur le petit écran. D’abord avec la série suédoise Snö de Simon Kaijser da Silva en 2012 déclinée en trois épisodes intitulés : L’Amour, La Maladie et La Mort. Le show se place à Stockholm au début des années 80 et suit Rasmus et Benjamin, deux étudiants, de leur coup de foudre à la découverte de la séropositivité de Rasmus jusqu’à sa mort. En 2014, The Normal Heart, téléfilm de Ryan Murphy sur HBO adapté de la pièce éponyme de 1985 du célèbre militant LGBT Larry Kramer (fondateur d’Act Up) se concentre quant à lui sur Ned Weeks (Mark Ruffalo), un écrivain-activiste qui décide de se battre et de fonder une association anti-sida suite à la montée en puissance de la maladie dans les années 80.
Cette année, la mini-série When we rise de Dustin Lance Black (dont les deux premiers épisodes ont été réalisés par Gus Van Sant, également producteur exécutif) revient sur la naissance des mouvements LGBT à la fin des 60’s au lendemain des émeutes de Stonewall survenues dans la nuit du 28 juin 1969 à New York. Cette fresque relatera durant quarante ans les combats des militants pour les libertés et droits des minorités sexuelles. Enfin, le réalisateur français Philippe Faucon qui avait déjà traité la question du VIH dans Sabine (1992) puis dans Mes dix-sept ans (1996), proposera une mini-série intitulée Fiertés qui se concentrera sur une histoire d’amour et les combats menés par les homosexuels autour du PACS, du mariage et l’adoption, jusqu’à la loi Taubira en 2013. Au casting de cette série prévue très prochainement sur Arte, on retrouvera notamment Chiara Mastroianni, Emmanuelle Bercot et Jéremie Elkaïm.
Pour approfondir, Les années sida à l’écran de Didier Roth-Bettoni (ErosOnyx), 138 pages.
{"type":"Banniere-Basse"}