Des ménages aux César, c’est le destin singulier de Soria Zeroual, nominée pour le rôle-titre de “Fatima” de Philippe Faucon.
Au téléphone, c’est une voix peu rompue à l’exercice de l’interview qui nous répond avec franchise et simplicité. Habitant Givors, élevant trois enfants, exerçant la profession de femme de ménage, maîtrisant correctement mais imparfaitement le français, c’est peu dire que Soria Zeroual ressemble à son personnage, Fatima.
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Sa présence en tête d’affiche du film éponyme de Philippe Faucon relève au départ d’une série de hasards. Le directeur de casting, David El Hakim recherchait de jeunes actrices pour interpréter les deux filles de Fatima et connaissait le frère de Soria. Celle-ci fait ce qu’elle peut pour l’aider à trouver des candidates, puis elle est sollicitée pour dénicher les petits rôles des voisines. De fil en aiguille, raconte Soria, “je me suis retrouvée à aller chez le directeur du casting à Vénissieux avec mes amies et les bureaux étaient emplis de monde. Il y avait tous les candidats et candidates pour les différents rôles. Moi, je stressais, même pour jouer une figurante, mais ma copine a insisté pour que je remplisse le formulaire d’inscription, sinon elle l’aurait fait pour moi ! Je passais la dernière, juste avant d’aller à mon travail. »
Alors qu’on ne lui a rien dit après ce premier entretien, à sa grande surprise, on la rappelle les deux samedis suivants pour lui faire répéter une scène. A chaque fois, motus concernant sa performance. « Puis quinze jours après, on m’a rappelée et on m’a demandée si j’étais assise ou debout. J’ai demandé pourquoi, et on m’a répondu ‘parce que vous avez le premier rôle dans Fatima’ ! »
Le stress des premiers jours
Elle lit le scénario, qui la touche beaucoup, notamment par les nombreux points de ressemblance entre la vie du personnage et la sienne. Pour autant, jouer un premier rôle quand on ne sait rien du métier n’est pas évident. Les premiers jours de tournage, Soria stresse, est intimidée par le plateau, les lumières, les caméras, la présence de l’équipe. « Puis petit à petit poursuit-elle, monsieur Philippe m’a donné le courage de continuer. J’ai oublié son regard, j’ai oublié tout, ma vie, mes enfants, je me suis concentrée sur l’histoire de Fatima et, je ne sais pas comment, mais j’ai joué, en étant vraie, naturelle, comme tous les jours. »
Soria découvre le film à Cannes et en pleure d’émotion. Elle a du mal à réaliser que c’est bien elle qui joue le rôle sur l’écran et se demande encore comment elle a fait. Dans le public, beaucoup de femmes lui disent « Fatima, c’est moi ! », tandis que des hommes très émus lui confient que le film raconte l’histoire de leur mère.
Succès public et critique
A la suite du festival, le film rencontre un beau succès critique et public dont Soria se dit très fière, très heureuse. C’est une équipe de France 3 qui lui apprend qu’elle est nominée aux Césars en lui téléphonant pour la féliciter et l’interviewer. « Je vais aller à la cérémonie, je serais heureuse d’être au milieu de grands artistes, ce sera une belle expérience. Je ne trouve pas les mots pour décrire ce que je ressens… Je ne m’attends pas à gagner le César, l’essentiel est d’être sélectionnée avec de grandes artistes, c’est déjà une grande reconnaissance de mon travail. Je remercie monsieur Philippe qui m’a donné cette chance et qui m’a fait confiance. »
Si Soria Zeroual continue de travailler dans sa banque et d’élever ses enfants de 8, 10 et 12 ans, elle estime que le film a quand même changé un peu sa vie. Dans la rue, à son travail, sa famille, ses proches, ses voisins la félicitent, contrairement aux cancanières jalouses montrées dans le film. Les édiles locaux ont aussi pris le train en marche. « Je serai invitée par la mairie le 8 mars, pour la journée de la femme. » Si Soria n’a pas les outils réthoriques pour discourir sur le féminisme, elle a l’intelligence intuitive du sens du film. « Le papa est loin, Fatima doit se débrouiller seule pour gagner sa vie, élever ses enfants, permettre à ses filles d’étudier. Elle est très courageuse.«
Soria semble aussi très courageuse. Et elle garde les pieds sur terre, n’est pas grisée par le conte de fée du cinéma même si elle profite de chaque minute de son moment de lumière. Quand on lui demande si elle pense renouveler l’expérience, la réponse est dubitative : « pour Fatima, j’ai tout donné. Ce n’était pas facile, j’ai beaucoup travaillé, c’était très fatigant, je ne suis pas sûre de pouvoir recommencer ». Mère soucieuse avant tout, celle qui est arrivée en France en 2002 sans diplôme retient que le film est aussi une leçon pour ses propres enfants, une autre façon pour elle de leur transmettre le goût du travail et des études, meilleures armes d’une future élévation sociale plus durable qu’un film.
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