Pour contourner des lois anti-pornographiques restrictives, les studios indonésiens font appel à des actrices de cinéma X dans des rôles soft. La dernière recrue de marque, Sasha Grey, a provoqué la colère des organisations islamistes du pays.
C’est une nouvelle tendance du cinéma indonésien, probablement appelée à disparaître. Un coup de pub assez malin, en même temps qu’un geste politique (revendiqué) contre le fondamentalisme qui gagne le premier pays musulman au monde : depuis quelques années, des boîtes de production indonésiennes bravent les lois anti-porno et engagent de célèbres hardeuses étrangères à l’affiche de leurs films. Elles sont le plus souvent japonaises (Rin Sakuragi, Erika Kirihara, Sola Aoi), et participent -sans aucune scène de sexe explicite- à des séries Z un peu cheap qui deviennent des hits de vidéos pirates et d’Internet.
Mais ce qui n’était jusque-là qu’un sous-genre confidentiel devient un véritable phénomène commercial, et attire dans ses filets des porn queen aussi célèbres que Tera Patrick ou Sasha Grey. L’ancienne hardeuse, récemment reconvertie dans le cinéma traditionnel (chez Soderbergh, dans The Girlfriend Experience ou, moins convaincant, dans la série U.S Entourage) est l’étonnante interprète principale de la comédie horrifique indonésienne Pocong Mandi Goyang Pinggul.
Une ambassadrice du X au pays des mollahs
Sous le titre à rallonge Pocong Mandi Goyang Pinggul, il y a un parfait résumé d’un certain cinéma d’exploitation indonésien : où l’on croise des jeunes confrontés à des monstres chevelus et des freaks ridicules dans une histoire complètement barrée. Mais la société de production responsable du méfait, K2K Pictures, s’est surtout payée le luxe d’une participation à distance de Sasha Grey, dont une interview face caméra et quelques danses lascives ont été intégrées, sans grand souci de cohérence, à la trame du film.
« J’ai fait appel à Sacha Grey parce que c’est une actrice professionnelle, et pas pour d’autres sensations » se justifie le producteur du film, KK Dheraj.
La présence d’hardeuses au casting est pourtant bien un nouvel argument de vente en Indonésie, où la production/distribution de matériel pornographique est interdite depuis 2008 (date du vote de la loi anti-pornographique) et passible de 12 ans d’emprisonnement. Pour la promotion de Pocong Mandi Goyang Pinggul, l’accent a donc été mis sur la participation de Sasha Grey, qui a même été invitée à Jakarta jeudi dernier pour une avant-première organisée malgré les menaces des fondamentalistes du F.P.I (Front des défenseurs de l’Islam, pas vraiment prêts à accueillir cette ambassadrice du X).
Si l’évènement s’est déroulé sans heurts, la visite éclair de Sasha Grey a provoqué la colère des islamistes, décidés à faire interdire le film. « Nous voulons nettoyer l’Indonésie des stars du porno, internationales et locales, pour sauvegarder la morale de la nation » déclarait au Jakarta Globe un leader du F.P.I, Salim Alatas, avant des manifestations violentes devant le siège de la société de production du film où des affiches représentant Sasha Grey ont été brûlées.
« Contourner la censure »
Le dispositif était pourtant rôdé pour éviter une nouvelle « affaire Miyabi » : le scandale qui avait éclaté en 2009 lorsque l’actrice porno japonaise Maria Ozawa, interprète principale du pourtant très soft Kidnapping Miyabi, avait été menacée par les nervis du F.P.I. Car ce nouveau genre de film d’horreur ou de comédie exploitant les charmes des hardeuses étrangères dérange en Indonésie, où il est particulièrement surveillé par les autorités (publiques et morales). Présentés par le New York Times comme des « improbables combattants culturels », les producteurs et réalisateurs de ces films doivent composer avec une censure très stricte et des tournages guérillas.
« Il faut d’abord s’assurer que le film est sûr, qu’il passe l’épreuve de la censure, et après il peut être montré », explique l’un des principaux artisans de ce cinéma indonésien, Ody Mulya Hidayat, producteur exécutif et réalisateur sous la bannière Maxima Pictures.
Créée en 2003, cette société de production s’est spécialisée dans les films d’horreur employant des actrices porno, et s’est assurée un grand succès populaire avec la franchise Evil Nurse, où s’illustre l’une des plus célèbres stars du X japonais, Sora Aoi.
Mais la nouvelle publicité autour de ce genre de films, si elle contribue à une explosion des ventes sur le marché intérieur, complique un peu plus l’organisation des tournages et la venue des actrices étrangères. Une « hypocrisie » selon Ody Mulya Hidayat, qui dénonce la relation de « haine/amour » qu’entretiennent les indonésiens avec l’industrie pornographique.
Romain Blondeau