L’un, Hilditch, la Bête, vit cloîtré dans une existence faite de vitrines soigneusement époussetées et de portraits pieux de Gala, sa mère adorée et détestée, cuisinière qui inculquait son savoir-faire au bon peuple britannique dans une version en noir et blanc de notre Cuisine des Mousquetaires. L’autre, Felicia, la Belle, quitte son Irlande natale pour la première fois, laissant derrière elle la honte d’être enceinte, d’avoir été séduite puis abandonnée. Seule avec sa foi comme unique planche de salut, elle débarque dans Bristol à la recherche de son amoureux. L’un et l’autre vont bien sûr se rencontrer, après une longue partie contemplative qui constitue le meilleur du film. Après le classicisme élégant de De beaux lendemains, uvre charnière dans sa filmographie, Atom Egoyan – grand cinéaste des liens secrets et des équations à plusieurs inconnues – confronte à nouveau son goût pour les machines voyeuristes et glacées à un texte littéraire. Son cinéma y gagne à nouveau une profondeur psychologique invisible qui lui faisait défaut autrefois et lui permet de s’affirmer encore davantage comme le grand styliste qu’il a toujours été. Le Voyage de Felicia est surtout le reflet lucide et amusé de l’autocritique d’Egoyan quant à sa propension aux cérémonials trop cérébraux et ses penchants assumés pour les toutes jeunes filles, vues comme autant de bouleversements nécessaires, surtout quand c’est Arsinée Khanjian, la propre femme du cinéaste, qui incarne Gala, la mère castratrice. Suprême ironie. Tel Hilditch, Egoyan a besoin de la vitalité naïve de l’histoire de Felicia pour quitter une enfance maudite et s’ouvrir au monde. Le film est le récit de la réussite de cet implant.
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