Le dernier documentaire signé Netflix dénonce efficacement l’addiction créée par les réseaux sociaux mais se perd dans des effets de mise en scène inutiles.
Propagation de fake news, augmentation des suicides chez les adolescents, polarisation des débats politiques… Ces dérives néfastes des réseaux sociaux sont maintenant connues depuis longtemps. Pourtant c’est visiblement inquiets et le cœur lourd que s’installent tous les ex-employés des grands mastodontes du Web (Facebook, Twitter, Google, etc.) devant la caméra de Jeff Orlowski. Tous vont tenter de nous révéler le secret le mieux gardé par leurs sectes : comment utilisent-elles la psychologie humaine pour nous rendre accro et manipuler notre comportement ?
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https://youtu.be/c1yx2Hxl26k
Surveiller et trahir
L’exposé d’une heure et demie qui suit à de quoi terrifier la plupart des spectateurs. Le premier rappel qui nous est fait est simple : les réseaux sociaux ne sont pas gratuits, car « si tu ne paies pas pour le produit, tu es le produit ». Ces entreprises – les plus riches que l’Histoire ait jamais connues – vendent la seule ressource à leur disposition, autrement dit notre intimité. Les grandes lignes de ce marché financier qui manipule l’humanité nous sont expliquées avec pédagogie, notamment le « capitalisme de surveillance ». Tous nos faits et gestes sur internet sont enregistrés dans les moindres détails, les fameuses data offertes à des algorithmes, le tout pour prédire et influencer nos actions futures.
Point fort du documentaire, des experts, tels Tristan Harris et Chamath Palihapitiya, repentis de chez Google et Facebook, reviennent en détail sur la « captologie », manière dont la technologie devient un outil d’influence et de persuasion. À grands coups de likes et de tags, infimes doses de dopamine, les réseaux sociaux s’érigent au rang de drogues dures, se rendant indispensables et absorbant toute notre attention.
La grande malédiction du smartphone
Ce scénario digne des meilleures dystopies a pour unique but de faire s’accroître et s’enrichir la Silicon Valley, et peu importe les dommages collatéraux sur nos sociétés. Alternant les confessions face caméra et les grandes citations philosophiques, le documentaire inclut également des passages animés (version un peu cheap de Matrix) et de fiction (un fils de famille esclave de son portable), pour aider le spectateur lambda à décrypter les propos sibyllins des professionnels. Ces saynètes caricaturales s’accordent à pointer le mal du siècle, la grande malédiction du smartphone, mais viennent quelque peu discréditer le propos du film – plus sérieusement traité dans Une contre-histoire de l’Internet de Sylvain Bergère ou Nothing to Hide de Marc Meillassoux.
Les dérives et utilisations abusives prennent une tournure tragique lorsque sont énumérés les chiffres des suicides et dépressions adolescentes, qui ont triplé depuis l’apparition de ces médias. La Génération Z, première exposée à leurs dangers, ne semble pourtant pas moins protégée que les générations précédentes, au vu des théories conspirationnistes qui pullulent en masse et autres rabbit hole créés par Google ou Facebook. Un grand nombre des préjudices causés par leur utilisation sont listés, à l’image de la dysmorphie due à Snapchat ou des ingérences russes, mais restent parfois résumés de manière trop succincte, comme l’évocation maladroite du génocide des Rohingyas.
Une secte mondiale
Les intervenants avouent enfin être eux-mêmes toujours esclaves de leurs jouets. Un constat peu rassurant, surtout face à leur affolement général et au ton alarmiste employé pour décrire l’avenir de nos sociétés connectées. Tous s’accordent à dire que la technologie sert le modèle qu’on lui soumet, le capitalisme, et fait donc ressortir le pire de l’humanité. Chaos de masse, isolation, polarisation politique, elle en viendrait à menacer sérieusement nos démocraties. Tim Kendall, ancien responsable de la monétisation de Facebook, prédit même une guerre civile à venir. La note d’espoir finale et la promesse d’une possible législation future de ces outils paraissent alors un peu maigres. Certains noteront tout de même l’ironie à voir apparaître aux bouts de quelques minutes le logo Netflix au générique, inventeur du binge-watching, dont les stratégies de rendement nous ont été bien sûr épargnées.
Derrière nos écrans de fumée de Jeff Orlowski (U.-S., 2020, 1h33)
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