Un western contemplatif en Anatolie, tout en subtiles ruptures de ton.
Ce premier long métrage d’Emin Alper est une jolie démonstration de less is more. Faire beaucoup avec peu. Utiliser trouées et béances dans la narration et le cadre pour y décharger de sombres affects.
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Pourtant, tout y commence comme lors d’un pique-nique estival. On est en Anatolie, sur les terres d’un vieux fermier qui reçoit la visite de son fils et de ses petits-enfants. Une spirale d’événements va rassembler la famille contre un ennemi commun, des “nomades” selon le grand-père, source de tous leurs problèmes et planqués “derrière la colline”.
En quelques plans étirés, Alper réussit un mix insolite entre le western-spaghetti cramé et les films contemplatifs de son compatriote Nuri Bilge Ceylan. “Ceylan” comme du Sergio Leone, oui peut-être, mais le film est plus remarquable par ses soustractions que par son rythme.
Des coups de feu tirés, un petit éboulement : qui a fait ça ? Les fameux “nomades”, invisibles et vite mythifiés comme les créatures dans les bois du Village de M. Night Shyamalan. De l’idée de frontière entre “nous” et “les autres”, propre au western, on bascule sur une absence, plutôt chère au fantastique.
Dans ce film où tout a l’air d’être pointé au viseur, où les personnages sont soigneusement isolés par le cadre rocailleux grandiose, un angle mort insoutenable persiste donc. D’autant que la caméra favorise les plans subjectifs et les acteurs filmés de dos comme des cibles anonymes. La technique est propice à une paranoïa qui gagne tout le clan. Si ce n’est qu’elle dissimule les insécurités et petits secrets de ces messieurs.
C’est là que Derrière la colline s’avance comme une dissection futée et sardonique de la masculinité moustachue et taiseuse : celle qui tâtonne, avec l’ado qui veut apprendre à tirer au fusil ; celle qui est affolée lorsqu’un des petits-fils hallucine sur un régiment de soldats qui voudrait l’embrigader mais qu’il est le seul à voir (dans une scène qui a l’air de sortir tout droit d’Apocalypse Now). Le constat vaut bien sûr pour tous les pays (Turquie et autres) prompts à désigner un bouc émissaire, intérieur comme extérieur.
Mais avec ou sans ces sous-textes, le film frappe grâce à son minimalisme étudié, ses subtiles ruptures de ton (l’humour pointe dans la drague, par le père veuf, de l’épouse du métayer, seul personnage féminin et raisonnable de l’histoire) ou ses jeux d’échelle (le faux film rural exotique de festival qui vire western conceptuel). Chaud brûlant et vertigineux après une longue exposition : Derrière la colline a tout du beau coup de soleil.
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