La fin d’un monde, d’une certaine Italie et d’un certain cinéma italien qui regrette son âge d’or filmée avec une insondable mélancolie.
La première partie de Dernier amour prend place à la Villa Serena, maison de retraite pour anciens artistes. Un jour tristement enneigé, les pensionnaires prennent le bus pour se rendre au bord de la mer. Là, sur la plage, emmitouflés dans leurs manteaux, ils dessinent dans le sable un dernier rêve : une immense femme nue aux formes opulentes, avant de reprendre le bus comme des enfants. Seul Picchio (Ugo Tognazzi) ne participe pas aux activités de la maison, se croyant hôte de passage, pas encore assez vieux, plein d’une énergie artistique et libidinale à revendre.
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Le film nous dit : être vieux, c’est arrêter de se débattre et finalement accepter de jouer au vieux, comme un acteur. Un peu comme dans une version italienne des Feux de la rampe de Chaplin, Picchio aussi sera peut-être sauvé et remis sur selle par l’apparition d’une belle jeune femme, Renata (Ornella Muti), infirmière dans la maison de repos.
Des scènes d’amour relevant du fantasme
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Eternelle jeune fille du cinéma italien, Ornella Muti traverse le film comme un rêve, comme si son corps, sa jeunesse, sa beauté, et la nonchalance avec laquelle elle endosse toutes ces qualités, n’étaient pas croyables. Au milieu de la Villa Serena, son corps appartient à un autre régime que les autres. Seul un rêve de jeune femme peut accepter si volontiers de vivre une idylle avec un vieil homme gris : l’ancienne gloire touche enfin le chèque de sa pension de retraite et roule vers Rome et Capri avec Renata pour vivre une parodie de romance dans les plus beaux hôtels – Picchio ne s’aperçoit pas qu’il devient vulgaire, prévisible, bientôt piteux.
Un indice encore nous fait croire à des scènes d’amour relevant du fantasme : le film sort un an après Cet obscur objet du désir de Buñuel, dont il est l’évident jumeau. Ugo Tognazzi ressemble trait pour trait à Fernando Rey, et Ornella Mutti partage ses yeux verts légèrement cernés avec Carole Bouquet.
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Dans les deux films, les hommes sont enfermés dans leurs versions de l’histoire, se pensent les sauveurs de jeunes filles désargentées, croient en leur fidélité et ne doutent jamais de l’intérêt qu’elles leur portent. Tous les manquements du réel, toutes les brèches qui iraient contre leur désir sont réinterprétés pour faire corps avec leur illusion.
Par petites touches, Dino Risi observe Picchio s’égarer, le couvre de son regard triste et attendri au moment où il est le plus pathétique. C’est la fin d’un monde, d’une certaine Italie et d’un certain cinéma italien qui regrette son âge d’or qu’incarne Picchio, tandis que Renata prend vite goût à des tenues exubérantes, fourrures criardes et bottines en vinyle – elle est bientôt vouée à être une créature de la télévision dont on devine le lent virage berlusconien.
Un plan très beau la montre en vulgaire speakerienne érotique, sa réalité ne tient plus qu’à un tube cathodique. Renata et Picchio ne se rencontrent pas, ou alors seulement pour se passer le relais, et cela concerne d’abord les images, leurs textures, leurs couleurs : un monde brillant et clinquant remplace l’autre, qui ignore son agonie au milieu de couleurs mourantes.
Dernier amour de Dino Risi, avec Ugo Tognazzi, Ornella Muti (It., 1978, 1 h 58)
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