Des histoires de films, d’acteurs et de drogues racontées par Dennis Hopper.
Nicholas Ray
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“Pendant le tournage, on s’est souvent engueulés, Nick et moi. Pas pour des raisons de travail : on avait tous les deux une aventure avec Natalie Wood ! Et d’un coup, les parents de Natalie se pointent sur le tournage, ils n’étaient pas contents, elle n’avait que 15 ans. Et cet enfoiré de Nick leur dit : “C’est Hopper” Putain, je suis allé le trouver et ça a chauffé. Je voulais vraiment lui casser la figure. Nick m’a dit :
“Hey kid ! Un jour tu devras apprendre à utiliser ton cerveau, pas seulement tes poings.”
Bien plus tard, quand j’ai présenté Easy Rider à Cannes en 1969, Nick s’est pointé. Il me fait :
“T’aurais pas 500 dollars à me prêter ?”
Il me croyait plein aux as parce que je présentais un film à Cannes ! Mais j’étais raide, je dormais sur un matelas chez l’habitant, et pendant tout le montage d’Easy Rider, qui avait duré un an, j’avais vécu avec 150 dollars par mois ! Ray me dit :
“Tu n’as qu’à emprunter à Burt Schneider, ton producteur.”
Il a fallu négocier durement mais Burt m’a finalement prêté 500 dollars. Je les file à Nick. Une heure après, il revient et me redemande 500 dollars. Merde, j’en croyais pas mes oreilles ! Il les avait paumés au casino de l’autre côté de la rue ! Plus tard, je l’ai hébergé chez moi, à Taos, au Nouveau-Mexique, pendant six mois. Puis, avant qu’il me rende définitivement dingue, il a trouvé un poste d’enseignant dans une école de cinéma à New York. On a eu une étrange et forte relation.”
James Dean
“Quand on s’est rencontrés sur La Fureur de vivre, j’avais 18 ans, lui 24, même s’il était supposé jouer un teenager. A ces âges-là, c’est une différence qui compte. Quand je l’ai vu jouer, ça m’a complètement transformé. Je n’avais jamais vu un acteur improviser, sortir du texte et inventer des bouts de dialogues… Dans les méthodes classiques, tout est minutieusement préparé, y compris le moindre geste. Avec la méthode de l’Actors Studio, toute cette préparation est bazardée. Rien n’est préconçu, il faut vivre et jouer dans le moment présent. Dean m’a dit :
“Si tu dois fumer dans une scène, fume, mais surtout ne joue pas à celui qui fume.”
Jouer, ce n’était pas être artificiellement un autre, mais au contraire être soi-même. Juste être présent, être là. Il était comme un prof pour moi, il me regardait faire et me corrigeait. Mais on n’était pas potes, on ne buvait pas des coups après le tournage. Il était le meilleur acteur que j’ai croisé ou que j’ai vu sur un écran, indiscutablement au dessus du lot. Et je le pense toujours. A mes yeux, il est supérieur à Marlon.
Je vais vous dire, je pense que James Dean a dirigé La Fureur de vivre plutôt que Nick. Si vous regardez bien le travail habituel de Nick Ray, son romantisme noir, vous verrez que La Fureur est différent. Dean plaçait parfois la caméra, et Ray l’autorisait à le faire. C’est d’ailleurs à mettre au crédit de Nick parce que tous les réalisateurs ne sont pas comme ça, et c’était intelligent de sa part d’être ouvert aux suggestions.”
Easy Rider
“Je voulais faire un film depuis un moment. J’avais écrit un scénario, The Last Movie, que j’ai fini par réaliser en 1971. The Last Movie n’est pas un bon souvenir : Universal refusa de le distribuer et cela faillit mettre un terme définitif à ma carrière de réalisateur. Mais au départ, ce projet intéressait du monde. Peter Fonda voulait le produire, Phil Spector voulait le produire, il était même prêt à mettre tout son pognon dedans. J’ai refusé, je ne voulais pas lui faire courir un tel risque. Je lui ai dit :
“Hey, tu me rends nerveux, je ne vais pas exploser toute ta putain de fortune !”
Bref, avec Peter et Jack Nicholson, on avait joué dans des films de bikers pour American International Pictures (AIP). Peter ne voulait surtout pas que l’on fasse un biker movie, il ne voulait pas que l’on devienne les “cow-boys chantants” de la moto.
Un jour, il m’appelle à 3 heures du mat depuis le Canada, il était avec les mecs d’AIP, on était prêts à se lancer dans un film que je dirigerais et que Peter produirait. Je lui ai parlé d’une histoire de deux mecs, allumés aux drogues, qui chevaucheraient de splendides motos et traverseraient les Etats-Unis jusqu’à La Nouvelle-Orleans, puis jusqu’en Floride où ils seraient abattus par des chasseurs.
Le tournage fut très dur. Au début, Peter a essayé de me faire virer. J’avais cinq jours pour filmer le mardi gras à La Nouvelle-Orléans et la scène du trip d’acide, tout ça en 16 mm. C’était comme un test qu’on me faisait passer. Ensuite, le trip à travers le pays a été filmé en cinq semaines et demie. C’était un tournage rapide, sur la brèche. Par contre, le montage m’a pris une année. J’avais soixante heures de rushes que je n’avais pas pu visionner pendant le tournage, faute de temps, et parce qu’on était sur la route.
A côté de ça, il y a eu aussi des querelles d’argent et de droits. Peter a essayé de me gruger. Au début, on partageait, on s’en foutait, et puis quand le film est devenu célèbre, on ne s’en fichait plus du tout, on voulait notre fric !”
Phil Spector
“Un sacré lascar, un peu dingue, qui jouait tout le temps avec des flingues. Mais moi aussi, donc on s’entendait bien, ça faisait une belle combinaison. J’ai fait toute la session photo de Ike et Tina Turner pour River Deep, Mountain High, juste avant que Phil ne parte travailler pour Apple et les Beatles.”
Les années 60
“Les années 60 n’étaient pas si marrantes au moment où nous les vivions, c’était plutôt un combat pour réussir, concrétiser nos envies, gagner un peu d’argent. Aujourd’hui, on regarde vers les sixties. Mais Peter, Jack et moi, à l’époque, on regardait vers les années 20 et 30. On se disait que les films de cette époque étaient fantastiques et que nous n’étions pas à la hauteur. On n’était que des merdes comparés à Errol Flynn ou W. C. Fields ! Non seulement pour leurs films, mais aussi leurs vies. Il fallait vraiment s’accrocher pour être aussi libres et sauvages que ces mecs ! Cela dit, sur cet aspect, je crois qu’on y est parvenus !
A Los Angeles, il y avait les émeutes sur Sunset Strip, ça dégageait pas mal. L’avènement de Dylan, la publication de Howl de Ginsberg, Jim Morrison, c’est vrai que cette époque était très excitante. Je n’ai pas croisé ces gens-là, mais j’ai pris les mêmes acides ! La drogue, c’était bien au début, c’était libre, convivial. Et puis c’est devenu un gros commerce et tout a merdé. On vendait n’importe quoi, des trucs qui n’avaient pas d’effets, à part vous démolir. C’était cauchemardesque.”
Apocalypse Now
“Marlon Brando était sous contrat à un million la semaine. Il était supposé tourner une semaine. Francis s’est rendu compte que Marlon n’avait pas lu Au coeur des ténèbres. Il a arrêté momentanément le tournage, neuf cents figurants en carafe, pour lui lire le bouquin sur un bateau fluvial. Quand ils sont revenus, Francis me dit que mon rôle risquait d’être plus important et qu’il faudrait renégocier le contrat. Renégocier ?! Ça faisait des mois que j’étais là ! Je voulais qu’on commence à tourner, et vite.
On a tourné la partie finale en improvisant. Certains d’entre nous étaient défoncés ! Enfin, je parle pour moi, pas pour les autres ! J’ai essayé différentes substances, j’étais bien high. Il y avait beaucoup de cocaïne sur ce tournage.
Apocalypse Now était une véritable aventure, un pari artistique et financier pour Coppola… C’est là où j’admire profondément Francis. Dans cette histoire, il perdait son argent, son studio, sa santé, tout. Il était dans des dépassements de budget effarants. Mais au lieu de paniquer, de tout accélérer pour boucler le film en catastrophe, il a adopté l’attitude inverse ! Il a tout ralenti ! Il a dit :
“OK, avant de tous finir dans le gouffre, faisons ce grand film.”
Génial. Alors, au lieu de stresser tout le monde, on a terminé le film en prenant le temps qu’il fallait, en attendant la bonne lumière pour chaque prise, etc. Et le résultat a montré qu’il avait raison.”
David Lynch
“David est un être merveilleux. Le genre “Howdy duddie?/Comment vas-tu mon copain ?” Ou “Oh, that was solid gold, let’s do one more!/Oh, cette prise était de l’or, allez, on en refait une !” Il a toujours l’air enthousiaste, heureux de tout, avec des attitudes et un vocabulaire désuets. Autre exemple, il me dit “When you say that word (quand tu dis ce mot)”, et je lui dis “David, that word which is in your script is “fuck” !/David, ce mot qui est dans ton script est “enculé”) ! Et il me fait “Yes, I know, but when you say that word…/Oui, je sais, mais quand tu dis ce mot…)” ! On dirait vraiment un chef scout sorti des années 50, qui n’ose pas prononcer le mot “enculé”, même si c’est dans son scénar ! Et en même temps, il a en lui un esprit et des visions complètement tordus !”
Extraits d’un entretien réalisé en octobre 2008 pour Les Inrockuptibles.
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