Le Palais de justice se dresse au loin, le plan fixe s’étire pendant plusieurs minutes, puis on pénètre dans ses entrailles, on marche vite derrière prévenus et gardiens, on se perd, cela dure et, au bout du labyrinthe, la petite pièce où la caméra de Raymond Depardon s’est posée, à distance, face aux protagonistes. Elle […]
Le Palais de justice se dresse au loin, le plan fixe s’étire pendant plusieurs minutes, puis on pénètre dans ses entrailles, on marche vite derrière prévenus et gardiens, on se perd, cela dure et, au bout du labyrinthe, la petite pièce où la caméra de Raymond Depardon s’est posée, à distance, face aux protagonistes. Elle a la permission exceptionnelle d’enregistrer, mais sans bouger. Dans le cadre inchangé se succèdent alors celles et ceux pris en flag’ de vol, d’escroquerie, de violence conjugale et autres délits divers. Ils arrivent tout droit du poste de police pour comparaître devant un substitut du procureur chargé de les auditionner, avant d’être présentés à un avocat commis d’office pour une comparution immédiate, ou relâchés en vue d’une audience ultérieure. Les accusés entrent par la porte située à gauche de l’image, pénètrent le champ, s’assoient et tentent de transcrire leur acte en paroles. La caméra est là pour capter l’action, et l’action est située tout entière dans cette confrontation verbale, les mots étant désormais leur seule défense possible. Le temps imparti est très bref et les dialogues s’enchaînent sans répit. Une fois entendu, le déféré se lève, le visage disparaît du cadre permis, les mains se tendent pour être ferrées, puis la porte se referme. Le corps est aussitôt remplacé par le suivant, d’un autre âge ou sexe, d’une autre nationalité ou classe sociale. De la femme mûre qui vole dans les grands magasins à celle qui démarre les voitures en raccordant les fils électriques, du mari accusé d’avoir frappé sa femme au petit ado bourgeois qui s’est fait une frayeur en taguant un wagon de la RATP, les réponses et les questions se percutent, elles tentent de se saisir par-delà le fossé du langage qui les sépare, par-delà le mensonge comme seul moyen de sauver sa peau, créant inévitablement des effets plus ou moins tragi-comiques. Mais le sourire devant certaines explications d’une mauvaise foi évidente s’évanouit vite face à leur quotidien dispensé en filigrane : moyens de subsister inexistants, alcoolisme, drogue, prostitution, séropositivité… La menace du suicide se formule soudain dans la bouche d’une prévenue, et le charter se profile nettement pour l’émigré interdit de territoire à plusieurs reprises… Par son « obsession de la durée réelle » et la distance qu’impose le plan-séquence, Raymond Depardon laisse au spectateur un espace de réflexion plutôt rare dans le monde de l’image.
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