Retour en force avec le génial Essentiel Killing, hommage cet été au Festival Paris cinéma : c’est l’année Jerzy Skolimowski, couronnée par la ressortie de ses deux chefs-d’oeuvre Deep-end et Travail au noir.
On a pu dire que les meilleurs films anglais modernes avaient été réalisés par des étrangers : Blow up d’Antonioni, Répulsion de Polanski et surtout Deep End de Jerzy Skolimowski.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En règle générale, les films des grands cinéastes en exil possèdent une qualité d’étrangeté et d’observation qui les rend fascinants. Skolimowski, dans Deep End, ne quitte presque jamais les locaux d’une piscine (filmés à Munich, coproduction oblige !), mais un coin de rue, une entrée de boîte de nuit et un bout de campagne enneigée suffisent à restituer le Londres de l’époque, beaucoup moins glamour que celui d’Antonioni mais absolument authentique, avec ce mélange de mauvais goût, d’ambiances glauques et de candeur érotique.
Considéré à juste titre comme un des meilleurs films jamais réalisés sur l’état d’adolescence (thème déjà traité dans les premiers films de Skolimowski et son premier long métrage hors de Pologne, Le Départ, tourné en Belgique avec Jean-Pierre Léaud), Deep End fut longtemps confiné à un culte confidentiel en raison de sa rareté, seulement visible dans de pauvres copies 16 mm ou 35 mm en mauvais état qui avaient survécu aux outrages du temps depuis le début des années 70, période sinistrée des nouveaux cinémas du monde entier, dont la redécouverte est toujours autant d’actualité.
Ceux qui avaient eu la chance de le découvrir par hasard en gardaient un souvenir ébloui. Ils n’avaient pas rêvé. La ressortie providentielle de Deep End en apporte la preuve éclatante.
Le film enfin restauré avec ses rutilantes couleurs pop venant balafrer la grisaille londonienne est un chef-d’œuvre de mélancolie et de cruauté, ancêtre pas si lointain des teen-movies sensibles signés Gus Van Sant dans son exploration empathique des émois définitifs de l’adolescence.
C’est un film de peintre (ce que le réalisateur deviendra lorsqu’il cessera de mettre en scène pendant dix-sept ans), de poète (ce qu’il avait été avant de faire des films) mais aussi de boxeur, autre activité du cinéaste dans sa jeunesse, qui a maintenu dans tous ses films une violence incisive, une précision du geste et une énergie virile qui n’appartiennent qu’à lui.
Un jeune garçon timide devient employé dans des bains publics de l’East End londonien. Chargé d’assister les client(e)s, il découvre un univers clos où la promiscuité et la nudité humide des corps sont propices à divers échanges et trafics pas très éloignés de la prostitution.
Il s’amourache surtout de sa collègue, une belle fille à la réputation facile qu’il épie et tente maladroitement de séduire. Deep End a l’idée géniale d’inverser les rôles : au garçon de jouer les pucelles effarouchées devant les avances sexuelles des rombières ménopausées, tandis que la fille (Jane Asher, fiancée de Paul McCartney au moment du tournage), cynique et libérée, s’amuse avec les hommes et les envoie balader à la première occasion.
La beauté de porcelaine de John Moulder-Brown, petit prince prolo et héros rimbaldien de ce roman d’apprentissage désastreux en vase clos, ajoute au charme fou d’un film tour à tour drôle et tragique, où explose l’art de Skolimowski : ce mélange de poésie et de trivialité, d’énergie et de morbidité que l’on a retrouvé intact dans son dernier opus, le superbe Essential Killing (encore une histoire de désir vital et de voyage vers la mort).
Douze ans après Deep End, Skolimowski réalise un deuxième chef-d’œuvre à Londres, Travail au noir. Un film ouvertement politique, mais avant tout une aventure humaine absurde et obsessionnelle, comme toujours chez le cinéaste.
Décidé et filmé dans l’urgence, Travail au noir répond au traumatisme du coup d’Etat polonais de décembre 1981, vécu de loin par l’exilé perpétuel Skolimowski.
Le contremaître Nowak et trois maçons polonais viennent travailler au noir à Londres pour effectuer des travaux dans la maison d’un riche compatriote. Lorsque Nowak, le seul à parler anglais, apprend la nouvelle du coup d’Etat militaire, il décide de ne pas en informer les ouvriers, de les maintenir dans un état d’ignorance et de retarder le plus possible l’échéance de leur retour impossible au pays.
Encore un film de claustration, Travail au noir est l’histoire d’un projet insensé voué à l’échec, et la métaphore astucieuse de la douleur d’un pays et de ses exilés. Jeremy Irons, plus que crédible en travailleur polonais, y livre une performance extraordinaire.
{"type":"Banniere-Basse"}