Scénariste, parolier, écrivain, auteur de sketches, dramaturge, Jean-Loup Dabadie est mort le 24 mai. Maîtrisant tout à la fois le burlesque et doux-amer, il aura su incarner un certain art de vivre à la française avec élégance.
Touche-à-tout naturellement doué et hyperactif, Jean-Loup Dabadie, qui vient tout juste de disparaître, près d’une semaine après l’annonce de la mort de Michel Piccoli et le jour même où Les Choses de la vie, qu’il a écrit, était diffusé sur Arte en hommage au comédien (hommage involontairement double donc), est bien difficile à résumer. Scénariste, dialoguiste, parolier, mais aussi romancier, dramaturge, auteur de sketches, académicien, tennisman amateur, cet homme pressé collabora même, à ses débuts, à la revue Tel Quel, première époque. C’est dire ! Dans cette carrière touffue, qui trouve son point d’orgue dans les années 1970 – les années Pompidou-Giscard –, il n’est pas aisé de se frayer un chemin.
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Une certaine idée du bonheur
Tout de même, on dira que le Dabadie qui a le plus compté pour nous est certainement celui qui a habité le cinéma populaire français des seventies avec une élégance indéniable. Des Choses de la vie à Nous irons tous au paradis, en passant par César et Rosalie, Une belle fille comme moi, Le Sauvage ou Un éléphant ça trompe énormément, autant de films qu’il a écrits ou coécrits, Jean-Loup Dabadie incarne une certaine idée du bonheur. Un bonheur qu’il serait réducteur de qualifier de bourgeois, même si la plupart des films cités n’ont en effet qu’un lointain rapport avec la dictature du prolétariat. Ce qu’on aime chez Dabadie, c’est plutôt une forme de douce mélancolie et un sens du rythme et de la comédie qui a bien résisté au temps.
Dans tous ces films, à l’époque immensément populaires, devenus depuis des classiques de la période, Dabadie fait souffler une brise très française et flirte parfois avec un burlesque boulevardier qui a conservé un charme indéniable. Les hilarants monologues de Jean Rochefort dans Un éléphant ça trompe énormément ou les dialogues étincelants du Sauvage (le meilleur film de Rappeneau !) se revoient et, surtout, se réécoutent avec un plaisir persistant. Quant à son travail avec Sautet, il incarne davantage sa face plus sombre, disons douce-amère, particulièrement sensible dans César et Rosalie, cette jolie variation sur le trio amoureux qui n’a certes pas la fièvre et la profondeur des films de Truffaut mais qui, malgré tout, a su nous accompagner, sans faillir, au fil des années.
Au fond, le grand mérite de Dabadie, dans le domaine du cinéma mais tout autant de la chanson ou des sketches, c’est d’avoir su écrire pour des interprètes choisis. Pour Guy Bedos (avec qui il a débuté) et Sophie Daumier (La Drague…), pour Michel Polnareff (ah les paroles de Tous les bateaux, tous les oiseaux et de Dans la maison vide !), pour Julien Clerc (Ma préférence…) comme pour Romy Schneider (les Sautet), Bernadette Lafont (Une belle fille comme moi, le plus méconnu et le plus burlesque des films de Truffaut), Catherine Deneuve (Le Sauvage)… Ou bien sûr Michel Piccoli… Autant de voix singulières capables de faire résonner ses mots et surtout de nous les envoyer comme autant de missives qui nous sont adressées personnellement. Pour terminer, on dira que Jean-Loup Dabadie est probablement le dernier représentant d’un certain art de vivre à la française. C’est certainement sa limite mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime.
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