Avec l’ami Renaud Monfourny, nous débarquons à Hong Kong quelques semaines après la rétrocession à la Chine. Rien n’a changé dans la désormais ex-colonie britannique : le commerce et les autobus à impériale roulent toujours, la presse locale reste libre, le cinéma hong-kongais perdure et les tours luminescentes ne se sont pas écroulées sous l’impact […]
Avec l’ami Renaud Monfourny, nous débarquons à Hong Kong quelques semaines après la rétrocession à la Chine. Rien n’a changé dans la désormais ex-colonie britannique : le commerce et les autobus à impériale roulent toujours, la presse locale reste libre, le cinéma hong-kongais perdure et les tours luminescentes ne se sont pas écroulées sous l’impact du PC chinois. Nous venons voir Wong Kar-wai à l’occasion de la proche sortie de Happy Together, son film le moins hong-kongais puisque tourné en Argentine. Peu importe, le voyage, réel ou fantasmé, fait partie intégrante de l’imaginaire de Kar-wai, cinéaste qui travaille à cinq minutes de l’aéroport de Kai Tak, sous le raffut permanent des longs courriers, et qui a baptisé sa boîte de production Jet Tone.
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En cette fin 1997, Wong Kar-wai est encore un cinéaste pour happy (together) few. On l’a découvert en France avec son troisième film, Chungking Express, succès d’estime, puis on a vu son deuxième, Nos années sauvages, une splendeur qui a fait peanuts au box-office mais que Les Inrocks avaient mis en couve (nous aussi, c’étaient nos années sauvages). Happy Together est un nouveau sommet de romantisme, de langueur, de vivacité formelle et nous sentons que WKW est en train de devenir un immense cinéaste, pas seulement un feu de paille à la mode.
Caché derrière ses éternelles lunettes noires, il nous reçoit dans ses bureaux de Grampian Road, étonnamment modestes : un quatre pièces ordinaire, dans un immeuble sans charme, avec des grilles de fer en doublure des portes palières, rapport aux possibles cambriolages. WKW évoque la rétrocession (« tout le monde devient très prudent, mais pour l’instant, rien n’a fondamentalement changé »), puis son film, tourné à Buenos Aires mais travaillé par la saudade de l’exil, le manque de Hong Kong.
Après une première session d’entretien, Kar-wai nous emmène pour un tour complet de sa ville, de Kowloon City à Tsim Sha Tsui, de la grouillante Nathan Road aux quartiers plus luxueux et internationaux situés sur l’île : gargote à tofu ouverte depuis 1909, bars où furent tournées des scènes de ses différents films, et puis la Chungking House, « bâtiment-marché couvert-hôtel-squat-centre commercial-cour des miracles » où se déroule Chungking Express. Entre étals, corridors secrets, clodos, couloirs glauques, dealers, escaliers pisseux, dans le labyrinthe horizontal et vertical de cet invraisemblable immeuble-village, il nous entraîne au cinquième étage à la découverte de l’un des meilleurs restos indiens de la ville.
Le lendemain, WKW passera encore quelques heures avec nous, évoquant les carrières hollywoodiennes de John Woo et Tsui Hark, nous éclairant sur Kowloon City :
« La proximité de l’aéroport fait que ce quartier n’a pas changé depuis des décennies. Les immeubles sont d’une hauteur limitée, donc pas de nouveaux gratte-ciel, de mouvements économiques, de spéculation. C’est le quartier des chu chow, les prolétaires des provinces cantonaises, et aussi le lieu d’origine des triades hong-kongaises. L’année prochaine, il y aura un nouvel aéroport loin du centre-ville et il se pourrait que Kowloon City connaisse de gros changements. Si vous revenez me voir, vous n’entendrez plus le bruit des moteurs d’avion. »
On n’est pas revenus. Le vieil aéroport de Kai Tak a fermé. Fini les atterrissages spectaculaires sur les immeubles, terminé le boucan au-dessus de Jet Tone. Happy Together n’a pas cartonné. Cela viendra avec le film suivant, In the Mood for Love.
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