Malgré un début prometteur, la série de Justin Simien, « Dear White People », reboot du film éponyme, endort rapidement et n’a finalement pas grand-chose à dire et à faire voir.
Sam, Coco, Reggie, Troy, Lionel et Gabe sont de retour avec leurs problèmes identitaires. Le premier chapitre de la nouvelle série Netflix, Dear White People, créée par Justin Simien, s’ouvre sur une blackface party. Pour les participants de la fête, être noir n’est pas si difficile, il suffirait donc de se foncer la peau avec du fond de teint MAC NW45, parler et s’habiller d’une certaine manière et mettre en fond sonore de “la musique pour noirs”. Belle idée de commencer cette histoire sur du blackface. Au cœur de cette pratique centenaire en Occident, il y a une idée importante dans les études de genre, celle de performativité. L’identité se “performe”, elle se joue, c’est un déguisement. Tout n’est en fait qu’une question de représentation, il n’y a pas d’essence. Dans le même temps qu’il essentialise, réduisant l’identité noire à une série de maniérismes et même à une couleur, le blackface dit qu’être Noir ce n’est aussi qu’une question de performance. On ne naît pas…etc.
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Qui peut être noir et comment l’être ? Là sont les questions que se posent nos étudiants de l’université huppée et fictionnelle de Winchester. Chacun des dix chapitres de la série, s’efforce à répondre à ces questions en épousant le point de vue d’un des personnages principaux. Comme tout reboot, Dear White People reprend les mêmes personnages, décors, cadres et enjeux dramatiques. Malheureusement, la série reprend aussi les défauts du film, et c’est très gênant.
https://www.youtube.com/watch?v=oYKgHvPVACE
Les années 2010 : nouvel âge d’or de la sitcom noire-américaine
Le milieu des années 2010 aura été un tournant pour les séries d’auteurs noirs. En 2016 seulement, il y aura eu Atlanta de Donald Glover, Queen Sugar d’Ava DuVernay, Insecure d’Issa Rae et Luke Cage de Cheo Hodari Coker aux Etats-Unis. Côté britannique, il y aura eu le retour de Chewing Gum de Michaela Coel et la première saison d’Ackee & Saltfish de Cecile Emeke. Bien qu’on aurait la tentation de comparer ce moment à l’âge d’or de la sitcom noire-américaine dans les années 90, on doit avouer que les séries d’aujourd’hui sont meilleures, formellement plus audacieuses, explorant une diversité de registre quand la comédie était jadis le genre imposé — allant du mélodrame rural à la comédie existentialiste. Les auteurs contemporains jouissent d’une liberté créative que leurs aïeux envieraient, eux qui devaient compromettre leur vision pour se conformer aux désirs des audiences et des marchés, comme l’explique Krista Brent Zook dans son livre Color By Fox. Il ne s’agit plus de bien ou mal représentés, mais d’explorer des lieux d’origines, des liens familiaux ou d’amitiés, des vies.
La tendance se poursuit en 2017 avec la finalisation du casting du prochain projet de Spike Lee, autre reboot, celui de son film Nola Darling n’en fait qu’à sa tête et l’annonce d’une prochaine série sur Le Chemin de Fer Clandestin dont le showrunner sera l’auteur de Moonlight, Barry Jenkins. Ce dernier aura avant ça réalisé le cinquième épisode de Dear White People. De toutes ces nouvelles propositions, la série de Simien apparaît comme la moins originale, la plus régressive, comme appartenant à un temps qu’on pensait révolu. Malgré son hyper-contemporanéité (les références pop ne vont pas au-delà de 2015), la série est déjà has-been. Souci d’une série qui fait le pari impossible de rivaliser avec votre feed Twitter ?
https://www.youtube.com/watch?v=MpEdJ-mmTlY
Une série encombrée de citations
Encore une fois, la série commence plutôt bien. Avec une citation de James Baldwin, rien de plus. Avec cet exergue, Dear White People s’annonce comme une série woke i.e. “consciente”, “au courant”. Simien cite beaucoup. Il commence par Baldwin, passe par David Fincher ère The Social Network (épisode 2) et finit par Spike Lee dont le film et la série s’inspirent ouvertement (School Daze, Do The Right Thing). Entre temps, il citera surtout la planète noire digitale qui s’exprime sur Twitter ou Tumblr — si on tend l’oreille, on peut entendre les scénaristes actualiser leurs réseaux sociaux afin de “trouver” des idées de situations et de punchlines complaisantes. Quand les étudiants noirs de l’université se réunissent pour regarder Diffamation la parodie hilarante de Scandal, la série de Shonda Rhimes avec Kerry Washington, c’est au Black Twitter et à ses live-tweets qu’il rend hommage. Mais voilà Justin Simien ne fait que ça : citer, reprendre, rendre hommage, faire des références. Chose qu’il n’arrive pas à faire: créer, inventer.
Des personnages qui peinent à exister
L’impuissance ne serait pas aussi gênante si elle ne transparaissait pas aussi dans l’écriture des personnages qui peinent à exister. C’était déjà le défaut d’un film qui n’arrivait pas à aller au-delà du cliché sociologique, du signe, de la surface. Le gay noir introverti, la métisse outrée qui a honte de sa part blanche, le fils Obama en devenir étouffé par la figure du père, la noire opportuniste et aliénée aux perruques malaisiennes. Le film était une sorte de manuel élémentaire sur l’identité noire, passant en revue tous les problèmes liés à la communauté (colorisme, relation interraciales, identité sexuelle et communauté, rapport de classes etc.).
Quel était donc l’intérêt d’un reboot ?
On pouvait considérer Dear White People, le film, comme le long pilote d’une future série. Une telle série serait le lieu idéal pour prendre le temps de regarder les personnages, de les étoffer, de leur donner un peu de chair. Or dès le premier épisode, on grimace. Sam White, l’hôte de l’émission Dear White People est toujours en colère. Militante et à la tête d’une organisation radicale au sein de son université, elle se sert de son émission de radio pour exprimer ses doléances envers la communauté blanche de son école. Sam White a un vilain petit secret, elle a un petit ami blanc. Ce qui discrédite un peu son discours, surtout qu’elle est déjà métisse et donc à moitié traître. Sa crédibilité est doublement entachée. Ses amis radicaux la regardent de travers. Un peu hypocrite non ? Un peu pervers ? Dès qu’il y a contradiction, paradoxe, perversion, Justin Simien évite toute polémique. Bizarre pour une série satirique. À l’image des scènes de sexe (il est certain que les réalisateurs n’ont jamais pratiqué de cunnilingus) rien ne dépasse dans cette série terriblement correcte et convenue.
Prenons Coco par exemple. Prototype de la noire aliénée. Transfuge de classe, Coco est animée par des sentiments assez obscurs: haine de soi, désir de revanche sociale. Elle apparaît pour la première fois au beau milieu de cette fête raciste, une perruque blonde sur la tête. Image troublante, le symbolisme de cette perruque ayant fait le voyage entre le film et la série. Mais là encore, pas grand-chose à voir. Simien n’essaye pas de comprendre ce qui se passe dans la tête ou dans le ventre de cette jeune femme, sûrement parce qu’il part du principe que vous savez déjà. Paradoxe d’une série didactique où l’on n’apprend rien. Vous connaissez Coco. Vous avez vu Good Hair comme moi. Vous avez lu Fanon, comme moi. Vous avez lu Toni Morrison comme moi. On se sait. Clin d’œil. *
Alors on se demande : pourquoi regarder cette série quand on pourrait simplement ouvrir un livre de sociologie, lire une publication sur un blog ou sur Tu Sais Que T’es Noir Quand/Vie de Noirs sur Facebook, écouter un podcast comme Noir Is The New Black ? Quelle est la différence entre une série et toutes ces autres choses ? C’est Éric Rohmer qui disait: “Quand on veut peindre telle génération ou telle époque, on se trompe : on peint une abstraction, on peint ce qu’elles veulent être, non ce qu’elles sont. Il n’y a que des cas particuliers.” Qu’est-ce qu’une série si ce n’est le royaume des « cas particuliers » ? Dear White People souhaite être le portrait d’une certaine génération, elle ne reste qu’un selfie paresseux, un écho faible et trop différé.
« Dear White People – Saison 1 » © Adam Rose/Netflix
L’abus de citations, les reprises de mots ou d’images des autres et le manque d’épaisseur des personnages nous disent que Justin Simien n’a pas grand-chose à dire et à faire voir. On gardera tout de même : le cinquième épisode émotionnellement manipulateur sur la brutalité policière réalisé par Barry Jenkins, la parodie de Scandal et les griffes laissées sur le dos de Troy par les ongles de Coco après une séance de sexe bestial (ils sont noirs). Seul moment qui suggère que Coco en a plus dans le ventre que ce que la série veut bien nous montrer, rare moment qui confirme que nous sommes bien dans une série pour adultes. Et après avoir visionné les dix épisodes proprets de Dear White People, on aura une envie de sale, de vomi, de sex-toys usés. On se dirigera vers Chewing Gum, la comédie dégueu de la brillante Michaela Coel, maintenant sur Netflix.
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