Dans un campus upper-class, une étudiante noire provoque des remous en proposant de réserver un dortoir aux Afros-Américains. Un premier film percutant qui démonte malicieusement les ressorts du racisme.
« Le racisme est un concept dépassé.” C’est Kanye West qui l’a dit, au micro de Mouloud Achour il y a quelques jours. Avec toute l’habilité métaphorique qui le caractérise, le coauteur de Niggas in Paris ajoutait : “C’est comme une balle rebondissante entre deux chats : elle les occupe, mais elle n’a pas d’autre fonction que de rebondir.” S’il ne nous appartient pas ici de discuter en profondeur la pertinence de la philosophie “kanyeenne”, reconnaissons à ce dernier une capacité toujours surprenante à mettre les pieds dans le plat. Il en est pourtant un qui a priori (a priori, insistons) n’est pas de cet avis : Justin Simien, du haut de ses 32 ans et de son premier long métrage, Dear White People.
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Dear White People est en l’occurrence une émission radiophonique menée par la fougueuse Samantha White, étudiante afro-américaine dans une université Ivy League (l’élite), qui adore prendre à partie ses collègues, blancs de préférence, avec des apostrophes du genre : “Le nombre d’amis noirs qu’il vous faut pour ne pas paraître raciste vient de passer à deux – et désolé, mais votre dealer de weed ne compte pas.” Grain de sable dans une Amérique lustrée et prétendue postraciste depuis l’avènement d’Obama, Sam ne se contente pas de relever les hypocrisies des uns (tel responsable du campus, noir, qui applique scrupuleusement les consignes de sa hiérarchie blanche comme neige) ou les compromissions des autres (telle étudiante opportuniste prête à tout pour faire oublier sa couleur d’ébène) ; elle se présente aux élections de son dortoir avec un programme radical : rendre celui-ci exclusivement accessible aux étudiants afro-américains, et leur redonner ainsi leur fierté perdue. Le passage de la parole aux actes va provoquer quelques remous sur le campus huppé.
Le film est organisé selon un principe choral, avec une demi-douzaine de personnages principaux dont un ou deux plus saillants : outre la pasionaria Samantha, un aspirant journaliste homosexuel émeut particulièrement. Durant 1 h 50 – le film aurait mérité d’être un peu plus long –, Justin Simien fait valser sa troupe à toute vitesse, avec une rage qui rappelle inévitablement Spike Lee (celui de School Daze) et un sens du cadre qui évoque fatalement Wes Anderson (celui de Rushmore). Le cinéaste est brillant, et aime le montrer : ses dialogues claquent, chaque plan est un condensé de bon goût, et les personnages sont parfaitement caractérisés, remplissant une fonction précise dans une machine bien huilée. Trop bien huilée ?
C’est précisément là que Simien se montre retors. Commençant par épingler à tous crins (les justes, les faux-culs, les salauds), avec une malice et une faconde indéniables, il finit par changer de régime pour montrer l’infinie complexité d’un problème – le racisme – qui entre en résonance avec le reste (la sexualité, la classe sociale) et contamine sournoisement les esprits, même ceux de bonne volonté.
Dear White People fonctionne en fait comme un carrousel, un joli carrousel avec ses chevaux chromés bien attachés à leur socle, tournoyant fièrement selon une trajectoire immuable. Et la beauté, ou la folie, de ce manège est que chaque enfant veut la place de l’autre ; chacun veut être assis sur le cheval devant lui, forcément plus désirable, sans comprendre que les places ont été assignées au début, une bonne fois pour toute, par les parents qui regardent en faisant coucou, la satisfaction aux lèvres.
Il y a quelque chose d’implacable dans cette logique, comme il peut y avoir quelque chose d’étouffant dans la brillance du film. Le désir suinte de partout, mais il est contraint. Il est en quelque sorte assigné à résidence, comme les étudiants le sont dans les leurs. Ce n’est qu’à l’issue d’une soirée blackface (tradition scandaleuse qui consiste pour un Blanc à se grimer en Noir) qu’enfin explosera ce système, et qu’apparaîtra le racisme pour ce qu’il est : une balle rebondissante pour occuper les chatons. Comme quoi, Kanye ne dit pas toujours n’importe quoi.
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