Réédition de “Dead Zone” de David Cronenberg, l’adaptation sobre et dépouillée d’un roman de Stephen King et film-programme annonçant la deuxième partie de l’œuvre d’un explorateur du cinéma particulièrement aventureux.
La réédition de Dead Zone, film de 1983, avec lequel Cronenberg sortit du ghetto du cinéma d’horreur pour acquérir une certaine respectabilité. Il fut enfin considéré comme un auteur à part entière par ceux qui jusque là le considéraient comme un faiseur de films d’exploitation tordus et cheap. Paradoxalement, Dead Zone est une adaptation d’un roman de Stephen King, pape du genre fantastique américain. Techniquement ce n’est donc pas un drame traditionnel car il repose sur un rapport surnaturel avec la réalité. Cela commence lorsqu’un professeur de lycée ordinaire, Johnny Smith, rentre chez lui après une soirée avec sa fiancée. Victime d’un accident de la route, il ne se réveillera qu’après un coma de cinq années ; il découvrira simultanément que sa petite amie s’est mariée et qu’il est devenu un médium capable de prévoir futur et passé. Ceci posé, Cronenberg procède à l’inverse des genres qu’il avait illustrés auparavant. Au lieu de rendre le réel étrange et inquiétant, il le dépouille et le trivialise. Si un suspense permanent découle des visions angoissantes de Johnny, l’aspect thriller est contrebalancé par la partie sentimentale, l’amour perdu du héros. Mais ce film n’est pas seulement un thriller et un drame. C’est un vaste “ouvroir de fiction” (cf. l’Oulipo, “ouvroir de littérature potentielle” cher à Raymond Queneau and co). En touchant la main de plusieurs personnes, vivantes ou mortes, Johnny voit quasiment des séquences de films de genre. Sa main est comme une télécommande qui fait naître des scènes de guerre, de films de serial killer, catastrophe, etc. C’est passionnant dans la mesure cela montre Cronenberg en train de mettre en scène sa sortie du genre fantastique/gore/horrifique, qui était devenu pour lui un carcan.
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Dans son précédent film, Videodrome, qui était son sommet dans le registre bizarre et maladif, le héros, Max Renn, devenait lui-même un magnétoscope : son ventre s’ouvrait pour ingérer des cassettes vidéo. Ce film avait trait à la diffusion des images, à la télévision, à la vidéo, s’exprimant sous forme d’une fusion avec la manière organique. Dans Dead Zone, Croenberg prend ses distances avec le pathologique gluant (quitte à y revenir par la suite) pour exprimer de façon plus simple et directe notre rapport à la fiction, c’est à dire sur un mode purement psychique. Dans cette optique c’est une réussite, car Cronenberg suggère beaucoup plus qu’il ne montre, tout en conservant certains raccourcis de série B. Par exemple, lorsque la mère de Johnny est victime d’une attaque qui va l’emporter, il suffit d’un plan sur son visage animé d’un rictus assez grotesque. Idem pour le suicide d’un serial killer, montré en quelques plans élémentaires, presque des images figées.
Dans cette mesure, Dead Zone surpasse le cinéma hollywoodien, auquel Cronenberg commence à s’intégrer. Il s’appuie sur du déjà vu, déjà su, déjà connu par le spectateur, une sorte d’inconscient collectif des schémas de fiction, qu’on peut réactiver avec quelques signes extrêmement simples (exemple : les ciseaux comme arme de crime, référence au Crime était presque parfait d’Hitchcock). Dead Zone est donc une œuvre synthétique. Par ailleurs, le film exprime de façon très directe le credo de l’auteur originel, Stephen King, et par extension de tout créateur de fiction : celui-ci renonce à avoir une existence épanouissante pour fournir sans trêve des histoires à ses lecteurs avides. Lorsque Johnny a des visions (il voit des histoires), il explique qu’il a “l’impression de mourir à l’intérieur”. Intéressante réflexion sur la création envisagée comme vecteur d’autodestruction. L’art comme sacerdoce est un des prolongements de ce film-programme, où David Cronenberg annonce sa révolution interne, qui va faire de lui un des plus grands auteurs du cinéma nord-américain, toutes catégories confondues.
On pourrait ajouter la dimension prémonitoire de cette œuvre sur la prémonition, qui montre l’ascension d’un politicien incarné par Martin Sheen, candidat au poste de président des Etats-Unis (rôle qu’incarnera Sheen dans la série A la Maison Blanche). Un candidat aux méthodes et au comportement qui annoncent le présent Donald Trump, lequel s’amuse à menacer du feu nucléaire la Corée du Nord, attitude périlleuse que préfigure Dead Zone.
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