Culotte couleur chair, blondes adolescentes, nuages et mélancolie: à l’occasion de la sortie de The Bling Ring (le 12 juin), révisons le cinéma de Sofia Coppola à l’aide d’un dictionnaire et d’une poignées d’images.
A
Adolescence
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En 1999, Sofia Coppola nous plonge dans la psyché adolescente avec Virgin Suicides, sublime adaptation du roman de Jeffrey Eugenides. On y suit les cinq têtes blondes comme les blés des soeurs Lisbon, qui font battre les cœurs de lycéens énamourés. Mais, loin de la rom’com’ tendance appareil dentaire, Virgin Suicides s’attache au mal-être adolescent et suit ses héroïnes dans leur lente descente aux enfers jusqu’à un suicide collectif. Le thème de la transition entre enfance et âge adulte se retrouve chez Marie Antoinette, qui, derrière sa façade historique, nous raconte l’histoire d’une ado autrichienne perdue dans un monde adulte et inconnu qu’elle va tenter d’apprivoiser. Même thématique dans Lost in Translation, où Scarlett Johansson joue Charlotte, une jeune femme américaine qui vient de finir ses études, ne sait pas bien ce qu’elle compte faire de sa vie, et suit son mari photographe à Tokyo. Plus jeune que Charlotte mais aussi blonde que les soeurs Lisbon, Cleo (Elle Fanning) traîne sa bouille ado dans Somewhere, aux côtés d’un père à la mentalité tout aussi juvénile. Car chez Coppola, les adultes rencontrent eux aussi des problèmes transitionnels (pensée pour le touchant Bill Murray de Lost in Translation).
Que serait le cinéma de Sofia Coppola sans musique ? Il faut bien l’avouer: pas grand chose. Grande prêtresse de la symbiose son/image, Coppola semble penser chaque plan, chaque séquence, chaque mouvement de caméra en fonction d’une BO, dans un esprit très clipesque (sans aller jusqu’à l’épileptique Spring Breakers, bien entendu). Et quelles BO ! La réalisatrice confie la musique de Virgin Suicides à Air, fait courir Marie Antoinette dans les couloirs de Versailles sur du Strokes, nous inonde de Phoenix (normal, elle est mariée au chanteur du groupe, Thomas Mars), fait se rencontrer Tokyo et Kevin Shields de My Bloody Valentine (Lost in Translation), convie ici Siouxsie and the Banshees, là Sebastien Tellier… Magistral.
C
Château Marmont
Après avoir filmé Versailles (le vrai, l’unique) dans Marie Antoinette, Coppola jette son dévolu sur un autre château: le mythique hôtel Château Marmont, qu’elle choisit comme cadre de son Somewhere. C’est là que Johnny Marco (Stephen Dorff), acteur de profession, traîne son mal de vivre quand il ne conduit pas son bolide dans les rues de L.A Puis, sa fille débarque et ils profitent ensemble du Château Marmont, de sa piscine et de ses transats.
D
Détail
La fameuse paire de Converse couleur lavande que l’on aperçoit très furtivement dans une scène de Marie Antoinette avait hérissé les poils de nombre d’historiens à la sortie du film. Mais, derrière l’anachronisme (minime au regard de la scène de bal rythmée par Siouxsie and the Banshees) se cache un amour du détail. Coppola affectionne les gros plans et, donc, les détails, filmant une plume accrochée à un brin d’herbe dans Marie Antoinette, une perle de sueur sur la joue d’une adolescente dans Virgin Suicides, insufflant à son cinéma toute sa poésie.
E
Étranger
L’étranger est une thématique centrale dans Lost in Translation, dans lequel Coppola exploite à 200% l’incompréhension entre deux cultures (américaine et japonaise), et filme Tokyo avec beaucoup de distance et une certaine froideur. Même fossé culturel dans Marie Antoinette avec l’arrivée d’une Autrichienne à la cour de France. Si la thématique est moins flagrante dans les deux autres films de la réalisatrice, elle n’en est pas moins présente: dans Virgin Suicides, le monde entier semble étranger aux sœurs Lisbon, tandis que dans Somewhere, père et fille se retrouvent à l’hôtel en Italie et lâchent quelques « grazie ».
F
Famille
On pourrait disserter pendant des heures sur le rapport de Sofia Coppola à la famille. Fille de Francis Ford Coppola, Sofia travaille en famille : son père produit ses films, son frère Roman l’aide au niveau du scénario, son cousin Jason Schwartzman joue le roi dans Marie Antoinette… manque son autre cousin, Nicolas Cage. Cette forte présence familiale se ressent dans chacun de ses films: relation père-fille (Somewhere), carcan familial étouffant (Virgin Suicides), solitude (Lost in Translation), devoir familial (Marie Antoinette).
G
Gâteau
Parfois, Marie Antoinette ressemble à un gros gâteau plein de crème. Une sensation créée par la profusion, à l’écran, de couleurs pop, de vêtements soyeux mais aussi et surtout de gâteaux. Dans une séquence d’anthologie, Coppola fait se succéder à l’écran des plans fixes sur des desserts aux couleurs pop sur fond d’Adam and the Ant.
H
Humour
Si le cinéma de Coppola ne se caractérise pas par son humour décapant, on peut tout de même relever quelques scènes gagesques portées par le génialissime Bill Murray, disséminées dans Lost in Translation. On y voit l’acteur perdre le contrôle d’un vélo électrique, poser de façon grotesque pour une marque de whisky, se plier en deux pour passer sous un pommeau de douche. Autant de références aux comédies « slapstick » américaines.
I
Insaisissable
C’est peut-être le terme qui caractérise le mieux le cinéma de Sofia Coppola, qui semble toujours résister à toute tentative de définition. Certains le taxent de bling-bling (et ça ne va pas s’améliorer avec The Bling Ring, qui comme son nom l’indique, est assez bling), d’autres de mélancolique, d’évanescent, d’ennuyant, de lent, d’intello… Et vous?
J
Jeunes (et jolies) premières
Coppola a le goût pour révéler de jeunes actrices (de préférence blondes, jeunes et jolies) méconnues: Kirsten Dunst dans Virgin Suicides, Scarlett Johansson dans Lost in Translation, Elle Fanning dans Somewhere. L’intrus: Emma Watson, plutôt révélée par Harry Potter que par The Bling Ring…
K
Karaoké
Peut-être la meilleure scène de Lost in Translation. En soirée avec des amis japonais du mari de Charlotte, Bill et Charlotte se retrouvent au karaoké. Coiffée d’une perruque rose qui rappelle étrangement celle portée par Natalie Portman dans Closer, Charlotte flirte avec Bob, micro en main et sourire aux coins des lèvres.
L
Licornes
En introduisant à deux reprises une licorne dans Virgin Suicides (sous forme de flacon de parfum, puis de rêve), Coppola semble dresser un parallèle entre l’animal imaginaire et les soeurs Lisbon. Tout aussi pures (« virgin ») et sacralisées (par les lycéens) que l’animal, elles semblent appartenir elles aussi à un univers fantasmé par les narrateurs du film, qui ne sont autres que les lycéens devenus adultes se remémorant leur passé.
M
Mélancolie
Si l’on repère deux-trois scènes un peu drôles dans Lost in Translation, le cinéma de Coppola baigne avant tout dans une profonde mélancolie. Aucune explication n’est donnée au mal être des personnages, qui semblent tout bonnement atteint de « melancholia ». Un état d’esprit qui transparaît, notamment, au travers des scènes dans lesquelles les personnages regardent dans le vide, l’air perdu, semblant incapables de continuer à avancer, ou dans celles, nombreuses, où ils restent immobiles sur un lit, comme pour mieux s’extraire du temps qui passe, de la course folle du monde.
N
Nouba
Qui dit mélancolie ne dit pas prostrée 24h/24 dans son lit. Les personnages de Coppola s’extraient régulièrement de leurs bulles pour faire la nouba, surtout Marie Antoinette, qui se révèle être une grosse fêtarde amatrice de champagne et de nuit blanche.
O
Oppressant
Suicides, carcan familial, solitude, incompréhension, vague-à-l’âme: tout chez Coppola confère au sentiment d’oppression, d’angoisse. Si les personnages ne se lâchent pas beaucoup, on voit quand même Marie Antoinette pleurer, à l’abri derrière une porte, Charlotte sangloter au téléphone dans Lost in Translation, Lux (Kirsten Dunst) lâcher quelques larmes en se séparant de ses vinyles, brûlées par sa folle de mère, dans Virgin Suicides. Autant de scènes serre-cœur qui révèlent l’impuissance voire l’emprisonnement des personnages vis-à-vis du monde extérieur.
P
Pole Dance
Dans Somewhere, Johnny Marco ne sait plus comment passer le temps. Dans une scène à la fois drôle et triste que Coppola prend un malin plaisir à filmer en entier, l’acteur, avachi dans son lit, somnole devant un numéro de pole dance, exécuté par deux bimbos blondes dans sa chambre d’hôtel. Filmée sans aucune sensualité, la scène paraît vide de sens et donne un sacré bourdon.
Q
Quotidien
Pas de cascades, ni de tirs à la carabine chez Coppola mais un quotidien morne, pesant, voire carrément étouffant, que les personnages supportent tant bien que mal. La thématique est davantage étudiée dans Marie Antoinette, au travers d’une séquence où l’on voit la future reine accomplir les mêmes tâches, se plier aux mêmes coutumes, jour après jour, du lever entouré de ses dames au dîner aux côtés de son époux passionné de serrures. Oppressant
R
Rêve
Dans Virgin Suicides, l’histoire nous est racontée par des narrateurs adultes qui se remémorent leur passé. Mais à leurs souvenirs se mêlent des rêves éveillés peuplés de licornes et de nuages, que Coppola filme en fondu, insérant le visage de Lux dans le ciel, superposant une licorne et un journal intime, comme pour mieux flouter la frontière entre réalité et imaginaire.
S
Sensualité
Qui dit « jeunes et jolies » dit sensualité. Si les héroïnes de Coppola sont jeunes, elles n’en demeurent pas moins très sensuelles, embrassant avidement les garçons (Virgin Suicides), posant nue sur un lit (Marie Antoinette), coulant de brûlants regards à un homme plus âgé (Lost in Translation). La palme de la sensualité revient, tout de même, à la scène d’ouverture de Lost in Translation, qui commence par un plan fixe sur une jeune femme (Johansson) de dos, allongée sur un lit; vêtue d’un t-shirt et d’une culotte couleur chair transparente.
T
Tokyo
C’est dans la capitale nippone, qu’elle avait déjà visitée à plusieurs reprises, que Sofia Coppola a posé ses valises pour son Lost in Translation. L’hôtel où Charlotte et Bob se rencontrent est le Park Hyatt, tout simplement parce que c’est là que la réalisatrice descend quand elle vient à Tokyo. Pourtant, malgré ses séjours au Japon, Coppola réalise un film sur la perte de repères et la solitude, véhiculant une image un poil caricaturale du Japon à base de salles d’arcade, de karaoké, de prostitué et de coutumes étranges.
V
Voiture
Comme toute bonne réalisatrice américaine, Coppola ne peut pas s’empêcher de filmer des voitures. Mais ici, pas de vroum vroum à la Fast & Furious, la voiture est soit un moment d’attente et donc de rêverie/mélancolie, soit un moyen de passer le temps (dans Somewhere, Johnny Marco sillonne L.A à bord d’une caisse de luxe histoire de combler le vide de son existence).
W
Wes Anderson
Les similitudes entre les cinémas des deux réalisateurs (qui sont, par ailleurs, amis) sont frappantes: même amour de la BO pop-rock, même mélancolie, même étrangeté, même obsession pour la famille et la figure paternelle…Disons que Wes Anderson est moins brumeux et vraiment plus drôle.
Z
Zénitude
Si Tokyo est présentée dans Lost in Translation comme une ville étrange voire hostile, elle est aussi vue ici et là sous un jour zen. Comme, par exemple, lorsque Charlotte se retrouve à composer un bouquet de fleurs, guidée par une femme en habits traditionnels.Mais la zénitude du cinéma de Sofia Coppola s’arrête là.
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