A l’occasion de la sortie cette semaine de « L’Île aux chiens », hommage de Wes Anderson au meilleur ami de l’homme, voici un panorama en 10 films des chiens qui ont marqué notre histoire du cinéma.
Dès les tous premiers pas du cinématographe, en 1895, dans La Sortie de l’usine Lumière à Lyon des frères Lumière, un chien accompagnait déjà fidèlement les ouvriers qui sortaient de l’établissement. C’est donc dire si l’animal occupe une place privilégiée dans l’histoire du cinéma. Parfois tué avec cruauté, souvent chéri, qu’ils aboient ou qu’ils parlent, qu’ils soient dressés ou en roue libre totale, retour en 10 films sur les chiens qui nous ont le plus marqué au cinéma.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
1/ Les chiens de Tarkovski
La figure du chien qui nous vient peut-être le plus instinctivement à l’esprit est celle présente dans l’oeuvre du cinéaste russe Andréï Tarkovski. D’abord, dans Andreï Roublev avec le chien du moine Kyril qui sera tué par son maître. A travers un tableau : c’est Les Chasseurs dans la neige de Brueghel l’Ancien, accroché sur les murs d’une bibliothèque dans Solaris ou encore dans Stalker et Nosthalghia avec ce motif récurrent : un chien accompagne un homme posé près d’une flaque d’eau. Immobile, ce dernier semble comme écrasé par la nature qui l’entoure. Chez Tarkovski, les chiens sont à l’image des personnages qu’ils accompagnent : ils errent silencieusement dans une flore vivante. Mais là où l’animal semble surpasser les protagonistes tarkovskiens, c’est dans son rapport à la nature : il ne fait qu’un avec elle et paraît ressentir dans une totale innocence quelque chose que les hommes ignorent (Dieu ?). On retrouvera cette thématique chez Godard dans Adieu au langage cité plus bas.
2/ Didier (1997) d’Alain Chabat
Première réalisation de l’ex-Nul Alain Chabat, Didier raconte l’histoire d’un agent de footballeurs ronchon (Jean-Pierre Bacri, évidemment) qui se voit confier la garde d’un labrador. Un jour l’animal se transforme en homme (Alain Chabat, évidemment) tout en agissant intérieurement toujours comme un chien. Plus de 20 ans plus tard, ce film au pitch à dormir debout est devenu culte. Cela est en parti dû au flair de Chabat qui, jusqu’au-boutiste, exploite son concept loufoque sans jamais reculer devant les blagues les plus potaches (pour le meilleur et pour le pire) et, chose appréciable, en refusant d’apporter de réponse rationnelle à son histoire. Une comédie populaire qui avait du chien et comme beaucoup manquent aujourd’hui. A noter qu’en 2018, le réalisateur Samuel Benchetrit inverse ce concept dans sa fable Chien : la psyché de l’humain Vincent Macaigne se métamorphosant petit à petit en celle d’un canidé.
3/ Ava (2017) de Léa Mysius
Si l’on retient avant tout le charme solaire et rafraîchissant d’Ava, notre rétine reste hantée par la figure énigmatique d’un chien que l’on découvre dès la saisissante séquence d’ouverture du film. Une plage bondée en plein été, des couleurs vives comme dans un Rohmer des années 80. Un grand chien noir qui semble jaillir tout droit de la Zone de Tarkovski (la composition du plan est d’ailleurs quasi identique que dans la scène de Stalker citée précédemment) s’avance lentement le long de la digue formée par les rochers puis rejoint une jeune fille qui somnole au soleil, c »est Ava. Mais la couleur du poil de l’animal inquiète : trop contrastée elle crée comme un trou noir dans l’image, un noir qui évoque celui à venir dans les yeux d’Ava. Car la jeune fille va bientôt être atteinte de cécité. Dans cette scène, le canidé agît comme un déclencheur. D’abord, il permet à la caméra de balayer l’espace et de nous mener à l’adolescente – il aurait pu choisir parmi la foule de vacanciers mais c’est Ava dont il va percer le regard, et c’est donc son histoire que nous allons suivre – et, conjointement, il semble être l’initiateur du handicap qui va s’abattre sur la jeune fille, comme une personnification du destin froid et implacable qu’Ava va devoir apprivoiser. Ou bien serait-ce un guide ? L’animal disparaîtra du récit en emportant avec lui son mystère.
4/ Adieu au langage (2014) de Jean-Luc Godard
Dans un résumé manuscrit du film, Jean-Luc Godard écrit : « Une femme et un homme se rencontrent, ils s’aiment, les coups pleuvent, un chien erre entre ville et campagne, les saisons passent, l’homme et la femme se retrouvent, le chien se trouve entre eux… » C’est en effet ce que l’on voit – ou plutôt ressent – dans Adieu au langage, film expérimental qui aspire son spectateur dans un vortex émotionnel entre traité philosophique et poème sur la nature. Et souvent l’émotion provient de Roxy, fidèle compagnon à quatre pattes de Godard. Car plus que les acteurs Héloïse Godet et Kamel Abdelli, plus que JLG lui-même, c’est elle la véritable star (créditée Roxy Miévilleau au générique) et qui est l’objet des plans les plus stupéfiants du film. Comme chez Tarkovski on retrouve cette idée de chien, gardien silencieux seul capable de contempler la nature telle qu’elle est. « Libre de mort. Nous qui ne voyons qu’elle, alors que l’animal libre est toujours au-delà de sa fin: il va vers Dieu; et quand il marche, c’est dans l’éternité, comme coule une source » écrivait Rilke dont les Élégies de Duino sont citées dans le film.
5/ Rox et Rouky (1981) de Ted Berman, Richard Rich et Art Stevens
De La belle et le clochard aux 101 dalmatiens, ou plus récemment Volt, star malgré lui et Frankenweenie, les studios Disney ont souvent fait des chiens les protagonistes de leur univers. Parmi ces charmantes histoires, c’est sûrement celle de Rox et Rouky qui est restée imprimée dans nos souvenirs d’enfance. Cela s’explique sûrement par ce que l’on pourrait nommer l’effet Bambi ou Dumbo – soit des tragédies pour enfants qui feraient passer du Racine pour du théâtre de Boulevard et qui donc obligatoirement marquent l’esprit. Heureusement moins hardcore que les deux films précédemment cités, Rox et Rouky relate l’amitié « contre nature » que se sont jurés de conserver un renard et un chien. Alors que leurs chemins finissent par se séparer, Rouky accuse Rox d’être le responsable dans un accident qui a failli tuer son ami chien Chef. Il décide donc d’aider son maître à chasser le renard. Après de violents incidents, les deux amis finiront par se réconcilier. Si le film est déjà bouleversant, les studios Disney ont eu la gentillesse – ou plutôt le bon sens – de changer l’histoire du roman qui faisait mourir Fox tandis que le maître de Rouky se voyait « obligé » d’abattre son compagnon à la fin du récit…
6/ Une vie de chien (1918) de Charles Chaplin
Premier film produit en plus d’être réalisé, écrit et interprété par Chaplin, Une vie de chien suit le vagabond Charlot qui prend sous son aile un chien errant qui n’est autre qu’un miroir de sa condition humaine. Le cinéaste y dresse une satire sociale sombre où aucune entraide n’est présente dans la rue. Mais avec son charme et sa malice, Charlot finira par épouser une jeune chanteuse rencontrée au dancing. A la fin du film, ils s’installeront alors avec le chien dans une ferme. Oeuvre méconnue, Une vie de chien contient pourtant déjà tout le génie comique de l’acteur/réalisateur et son humanisme sans faille. A noter également que c’est l’un des seuls films où Charlot est présent sans sa célèbre canne, une de ses mains devant se libérer pour tenir la laisse de son chien.
https://www.dailymotion.com/video/x495ma1
7/ White god (2014) de Kornél Mundruczó
Spécialiste des paraboles plus ou moins subtiles (voir, ou pas, La Lune de Jupiter), Kornel Mundruczó suit dans White god, Hagen, un chien abandonné par ses maîtres. Il erre dans la ville et tente de survivre. Après avoir subi la cruauté des hommes qui l’entourent, l’animal rejoint une bande de chiens errants prêts à former une insurrection contre les hommes. Hagen devient alors le leader de cette révolte sanguinaire. A la fois thriller catastrophe dans la lignée des Oiseaux d’Hitchcock et fable sociale, White god est souvent très impressionnant. La caméra suit avec une virtuosité folle le point de vue des chiens, de leur errance jusqu’à l’affrontement final avec les hommes et l’on se répète intérieurement pendant tout le film que l’on a rarement vu ça au cinéma. On regrette toutefois la dimension métaphorique balourde du film, elle-même engloutie sous le regard complaisant du cinéaste qui a parfois bien du mal à cacher une misanthropie nauséabonde.
8/ Victoria (2016) de Justine Triet
Dès son premier long métrage, La Bataille de Solférino, Justine Triet mettait en scène un chien assistant impuissant aux échanges hystériques du couple Laetitia Dosch/Vincent Macaigne. Dans Victoria, la cinéaste poussera un peu plus loin les curseurs de l’absurde. Seul témoin d’une soit disant tentative de meurtre dans un mariage, Jacques, un fringuant dalmatien est appelé à la barre pour témoigner dans l’affaire. Le tout sous le regard d’une Virginie Efira pénaliste en pleine doute métaphysique qui voudrait « comprendre où ça a commencé à merder chimiquement » dans sa vie. Une scène délicieusement burlesque à (re)découvrir d’urgence.
9/ Air Bud (1997) de Charles Martin Smith
Suite au succès de Beethoven au début des années 90, plusieurs productions américaines décidèrent de prendre pour vedette des animaux filmés en live-action. Notons notamment le perché L’Incroyable Voyage en 1993 qui met en scène les aventures d’un golden retriever, d’une chatte himalayenne et d’un bouledogue américain tout en les munissant de voix humaines. Mais en terme de WTF, c’est sans aucun doute Air Bud, sorti en 1997, qui gagne par K.O technique. L’histoire : un jeune garçon tente d’apprendre à son golden retriever Buddy à jouer au basket. A la fin du film, le chien habillé en maillot, des chaussures aux quatre pattes, débarque en sauveur dans un match sous tension et mène son équipe à la victoire. Après un premier épisode autour du sport de Michael Jordan, les studios sortirent une flopée de suites durant les années 2000 où Buddy – décidément surdoué – se met au football américain dans Air Bud 2, au football dans Air Bud 3, au baseball dans Air Bud 4 et au volley dans Air Bud superstar. On attend encore à ce jour avec impatience, un cinquième épisode où Buddy imposerait sa patte dans le monde du patinage artistique.
10/ Funny games (1997) de Michael Haneke
Achtung, changement d’ambiance. Le cinéma réserve souvent un sort cruel aux canidés. Chez Wes Anderson d’abord (Moonrise Kingdom, La Famille Tenenbaum, Fantastic Mr. Fox) – que l’on aurait pu croire jusqu’à peu un brin cynophobe – mais c’est encore pire pour Choupette, éjectée comme un ballon de foot par Didier Bourdon dans Les Trois Frères, le chien des voisins étranglé dans Fenêtre sur cour d’Hitchcock, ou encore le berger allemand retrouvé inerte sous le soleil brûlant du désert dans le remake de La colline à des Yeux. Ce destin funeste n’est pourtant pas un hasard, la disparition du chien, gardien d’un lieu ou d’une famille, est généralement annonciatrice d’un danger à venir. Dans Funny Games, le cinéaste autrichien Michael Haneke rejoue ce principe dans une scène particulièrement glaçante. Après s’être progressivement introduit dans la maison de vacances d’une famille, un des deux tortionnaires déclare qu’il a frappé le chien avec un club de golf. La mère se lance alors dans le « jeu du chaud-froid ». Pendant qu’elle cherche l’animal dont on connait déjà le sort, le jeune homme se retourne vers l’objectif de la caméra et brise le troisième mur en adressant un clin d’œil complice aux spectateurs. Nous voici désormais acteur du dispositif filmique de Herr Haneke qui va lentement nous conduire vers une acmé de violence. Un geste artistique jugé abject par certains, nécessaire pour d’autres.
BONUS : Tati et Hasard
Pour conclure ce panorama sur une note plus légère, on vous laisse avec cet interview de Jacques Tati, mashup improbable entre Cinéastes de notre temps et 30 millions d’amis, dans lequel le cinéaste français nous parle de son chien Hasard…
{"type":"Banniere-Basse"}