Plongée dans le bain (de sang) des images : son stupéfiant « Redacted » a immergé le festival dans la guerre en irak, renouant avec un cinéma politique américain qui se faisait rare.
On attendait à Deauville les premiers effluves du “retour du cinéma politique” américain, alors que la dernière année du règne de G. W. Bush se profile. Le bilan s’est éclairé en fin de festival avec la projection du stupéfiant Redacted de Brian De Palma, en (faux) direct de l’Irak. Alors que les autres films observaient les conséquences de la guerre sur les vivants restés au pays – un père cherchant la vérité sur la mort de son fils dans In the Valley of Elah de Paul Haggis, intéressant malgré ses gros sabots ; le deuil pataud d’un mari dans Grace Is Gone de James Strouse, “monsieur Scarface” a décidé de mettre le doigt dans la plaie. Et d’appuyer fort. D’après une histoire vraie, le viol et le meurtre d’une Irakienne de 15 ans par de jeunes soldats US, De Palma a conçu son film comme un agencement à la fois brut et sophistiqué, glissant entre plusieurs supports visuels dont aucun n’est d’essence classiquement cinématographique : le journal intime en DV de l’un des GI procure la colonne vertébrale d’un récit ponctué par des images de caméra de surveillance à l’intérieur d’un camp de l’armée, de journaux d’actualité américains et irakiens, d’images de blogs, de vidéos tirées de YouTube, et d’un documentaire télé. Ce pourrait n’être que le “contre-journal” de Brian De Palma, un cri de rage dirigé vers Bush et vers les médias. Sauf que le pur premier degré n’est pas vraiment une spécialité de la maison : le cinéaste n’a pas utilisé d’images d’archives, à l’exception d’une séquence finale controversée. Tout ou presque est donc faux, dans Redacted, sauf l’horreur des faits et le vertige des images. Pas de doute, nous sommes bien en territoire depalmien. Le cinéaste lui-même indique son film Outrages (1989), qui s’inspirait d’une affaire similaire survenue pendant la guerre du Vietnam, comme le jumeau de Redacted. Mais en deux décennies, tout a changé : De Palma a perdu de son aura (pas de vrai succès public depuis 1996 et Mission: Impossible) et le cinéma s’est transformé. Lucide sur les deux tableaux, l’homme cumule un geste cinématographique d’une humilité magnifique avec une démonstration de sa croyance inébranlable dans la puissance de la mise en scène. Film de cinéma sans aucun effet cinéma, réflexion sur les images présentées dans leur platitude la plus absolue, Redacted est un objet hautement contemporain, qui pourrait bien être à De Palma ce que Ten fut à Abbas Kiarostami. Difficile ensuite de revenir à la légèreté fondatrice du cinéma hollywoodien, excepté quand Bobby et Peter Farrelly gesticulent derrière la caméra. Les Femmes de ses rêves marque un double retour aux sources : vers un cinéma commercial déphasé et vers Ben Stiller. Neuf ans après Mary à tout prix, le film raconte le désastre conjugal d’un mec de 40 ans incapable de se marier avec la bonne personne – deux fois, le bougre… – et l’affuble d’un personnage de blonde copié sur la Cameron Diaz de 1998. Une métaphore de la répétition ? Pas seulement. D’une crudité rare même chez les Farrelly, notamment sur le volet de l’intimité sexuelle et du fantasme de défiguration qui les habite depuis longtemps, le film trace sa route avec une drôlerie et un sens politique acérés. Transformé pour quelques minutes folles en immigré illégal mexicain, Ben Stiller démontre sa grande forme, même si Les Femmes de ses rêves n’a pas la force des sommets conceptuels du duo (Fous d’Irène, Deux en un). D’un glamour fou (Clooney, Pitt et Damon en un week-end), Deauville a aussi intrigué par ses récits mettant en scène les tourments de l’Amérique profonde. Teeth, de Mitchell Lichtenstein, décrit une ado puritaine découvrant que son vagin a des dents. Le film intéresse par sa façon de traverser les genres (pour aller vite, de Cronenberg au cinéma d’exploitation) en épousant le parcours de son personnage : d’abord victime des hommes, celle-ci se transforme en tueuse tarantinienne décomplexée. Bitch! Autre premier film, celui de Ben Affleck, qui adapte un roman de Dennis Lehane (l’auteur de Mystic River) sur un enlèvement d’enfant. Sensible et sombre, Gone, Baby, Gone vaut d’abord pour son inscription très forte dans un Boston urbain et miséreux, qui offre un écrin à Casey Affleck dans un rôle d’ange gardien ambigu et mélancolique. Un retour aux sources pour le meilleur ami de Matt Damon, élevé dans le coin. Il aurait néanmoins gagné à laisser son film traîner davantage en route. En l’état, Gone, Baby, Gone souffre d’un trop-plein narratif et psychologique qui l’empêche de saisir tout à fait au cœur.
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