Au fil de deux conversations alternées, le Coréen chronique les plaisirs simples mais irrésistiblement dangereux.
Il y a vraiment de quoi se perdre dans le calendrier de sortie des films de Hong Sang-soo. Ainsi La Romancière, le film et le heureux hasard arrivait en salle mi-février, quasiment au moment où In Water était projeté en compétition à la Berlinale. Mais ce nouveau film n’a pas encore de date de sortie et apparaîtra donc sur nos écrans après De nos jours, son trentième long métrage, qui a fait la clôture de la Quinzaine des cinéastes en mai et sort le 19 juillet… Soit avant À chaque étage, sélectionné l’an dernier à Toronto et à San Sebastián, prévu, lui, pour le 13 décembre.
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Ce n’est sûrement pas un hasard si survisibilité et suractivité s’accompagnent dans ses films, depuis longtemps déjà, des motifs de la disparition et de la retraite. Dans le dernier en date, In Water, œuvre aquarelliste totalement floue, cette tentation de l’absence allait jusqu’à la disparition même du cinéma au profit de la peinture.
Avec De nos jours, on retrouve un HSS plus classiquement lui-même, au fil d’un récit structuré par un montage alterné entre deux situations jumelles. D’un côté une actrice (Kim Min-hee), reconvertie en architecte et hébergée par une amie possédant un chat gourmand, répond aux interrogations d’une jeune admiratrice qui voudrait l’imiter. De l’autre, un vieux cinéaste râblé, en sevrage d’alcool et de cigarettes, discute avec une jeune étudiante en train de faire un documentaire sur lui, lorsqu’un admirateur vient l’assaillir de questions sur son art.
L’art ultime de la variation
L’impossibilité de la transmission est depuis le début le sujet de discussion privilégié des personnages du Sud-Coréen. Il est l’anti-maître par excellence, et si sa filmographie nous enseigne quelque chose, cela n’a rien à voir avec le cinéma mais plutôt avec la vie elle-même. Peu de réalisateur·rices se confrontent comme lui à la trivialité de l’existence, à la façon dont cette trivialité vole parfois en éclats grâce à une complicité fugace, qu’elle soit amoureuse, admirative, amicale ou éméchée. Les films de HSS sont à la fois d’une épure absolue et d’une sophistication totale, de plus en plus maîtrisés, puisque le cinéaste fait aujourd’hui quasiment tout sur ses projets – de la musique aux décors, en passant par le scénario, l’image, le son et le montage.
Leur production quasi à la chaîne cache évidemment un art ultime de la variation. Drôle, l’un des plus drôles de sa carrière, De nos jours recèle aussi un secret : l’impératif d’arrêter alcool et tabac est tout autant celui du protagoniste que de son créateur de 62 ans, qui doit s’en priver à la suite d’un problème de santé en train de lui coûter la vue. Mais à l’image du chat qui se goinfre de friandises, la tentation des plaisirs simples est trop forte et la reddition (représentée dans une extraordinaire scène finale), inéluctable.
Jouer à chifoumi, observer une plante grandir, savourer seul une cigarette en buvant un verre de whisky… De nos jours est plus que jamais attentif aux infinitésimaux ravissements de la vie. Depuis deux films donc, HSS nous dit qu’il ne voit plus rien (le flou d’In Water), et pourquoi il ne voit plus rien (l’impossibilité à arrêter ce qui l’empoisonne). Bouleversant, et sublime.
De nos jours de Hong Sang-soo, avec Ki Joo-bong, Kim Min-hee, Song Sunmi (Cor., 2023, 1 h 24). En salle le 19 juillet.
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