A l’occasion de la sortie de « Suprématie », voici notre guide de « La Planète des Singes », la toute première franchise de science-fiction au cinéma fondée en 1968 et qui, neuf films plus tard, suscite la fascination pour ses discours politiques et sa portée dramatique.
La Planète des Singes au cinéma, c’est plusieurs temps forts qui nous permettent de mieux comprendre sa postérité dans l’histoire du cinéma et sa place dans le genre de la science-fiction. En 1968, date de sortie de la toute première adaptation cinématographique du roman de Pierre Boulle, le genre n’a pas encore accouché de ses sagas-mastodontes telles que Star Wars (1977), Alien (1979), Star Trek (1979) et Terminator (1982). Cette même année accouche également du 2001 de Kubrick et dont la conception aura considérablement révolutionné la reproduction de la science-fiction au cinéma. En plus du succès que va rencontrer La Planète des Singes, 1968 constitue alors une année charnière pour le genre. Et la pérennité du film en sera le prolongement : des quatre suites qui vont suivre jusqu’au reboot de 2011 en passant par l’adaptation douteuse de Tim Burton en 2001. Un historique passionnant qui nous rappelle combien le récit inventé par Pierre Boulle regorge de ressources inépuisables.
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1968 : le commencement
Parmi les neufs films que répertorie la saga, le tout premier réalisé en 1968 par Franklin J. Schaffner est (presque) le seul à relater les événements du roman de Pierre Boulle. Le récit s’ouvre sur un vaisseau spatial américain flottant dans l’espace. La navette « Icare » abrite un équipage de quatre membres plongés en hyper-sommeil. Le vaisseau s’écrase en l’an 3978 sur une planète inconnue et désertique. Le capitaine George Taylor et ses deux lieutenants survivent au crash, et font progressivement la découverte d’un écosystème dominé par les singes : quelques humains, muets, sont réduits à l’esclavage. Malgré son emprisonnement (« This is a madhouse !« ), le capitaine Taylor se lie d’amitié avec Cornelius et Zira, deux chimpanzés convaincus que ce dernier est la réponse à l’histoire de l’évolution sur Terre : pour percer le mystère de cette théorie, Cornelius, Zira et Taylor devront franchir une « zone interdite ».
Le premier constat frappant du film (et du roman), au-delà du réalisme à cette époque des singes et des masques portés par les acteurs, c’est sa volonté de renverser les rapports de force : Taylor et ses lieutenants sont vite réduits à l’état de servitude tandis que les singes excellent dans des domaines tels que la médecine et la politique. L’arrivée de Taylor va cependant remettre en question ce rapport dominant/dominé : la nature l’ayant dépassé, comment l’homme est passé du statut de dominant au statut de dominé ? Une nouvelle société a émergé, et ce sont tous les repères humains qui se brouillent, jusqu’à la conclusion finale du film qui aura marqué l’inconscient collectif – et qui dévie du roman d’origine. Ici, pas de batailles ou d’antagonismes de forcené, La Planète des Singes est un récit terre-à-terre qui pose la question du rapport de l’homme avec la nature, y compris avec ses semblables. La Planète des Singes est un carton au box-office, récoltant pas moins de trente millions de dollars. Encore aujourd’hui, le film est un classique du genre et convaincra les cinéastes et les studios de se lancer dans la production d’un genre qui, effectivement, est capable de faire bonne recette. Ainsi, la Fox se lance dans la production de suites.
https://www.youtube.com/watch?v=XvuM3DjvYf0
1970 – 1973 : la naissance d’une saga
C’est avec la réalisation de quatre volets successifs que la La Planète des Singes devient la toute première franchise cinématographique de science-fiction, et aussi la plus prolifique à cette époque. Sortis entre 1970 et 1973, Le Secret, Les Évadés, La Conquête et La Bataille sont à la fois des suites logiques – mais oubliées – et aussi une totale réinvention de l’univers, s’estimant parfois comme un miroir du contexte de Guerre Froide qui sévit aux Etats-Unis à cette époque, notamment en rapport avec la menace nucléaire dont s’inspire Le Secret de la Planète des Singes, le second volet.
Dans celui-ci, on y découvre un groupe d’humains vivant dans la fameuse « zone interdite », qui n’est autre que la ville de New-York en ruine. Ce même groupuscule voue un culte pour une tête nucléaire, considérée comme le seul objet permettant aux hommes de survivre. La critique du nucléaire est omniprésente dans Le Secret, à tel point que Taylor, l’astronaute du premier opus, et le lieutenant Brent, le personnage principal ici, dégainent la même réplique pour expliquer l’éradication de l’humanité sur cette planète : « Ils l’ont fait sauter ». Une phrase qui en dit long sur les intentions du film, moins axé sur les singes malgré le personnage d’Ursus, un gorille projetant d’envahir la « zone interdite ». Le rapport de force du premier volet entre singes et humains laisse place ici à une véritable remise en question des motivations des humains, de leur capacité à se détruire eux-mêmes jusqu’à s’enfermer dans leurs obsessions quelque peu mégalos. Là encore, le film accouche d’une conclusion assez marquante : la destruction de la planète par l’ogive nucléaire vénérée.
Considéré (justement) comme inférieur au premier opus de la saga, Le Secret fait finalement bonne figure au box-office (18 millions de recettes) et fera l’objet d’une suite déjà prévue par la Fox après le succès du film de 1968 : Les Évadés de la Planète des Singes, dans lequel les primates scientifiques Cornelius, Zira et Milo s’échappent de l’anéantissement de la Terre. Leur voyage temporel – qui choque pour son manque d’explication – au bord de la capsule abandonnée du premier film les renverra à l’année 1973, à la même époque que la sortie de ce troisième volet (à deux années près).
Les Évadés fait presque l’effet d’un reboot au sein de la saga puisqu’il nous ramène à l’époque où l’humanité était l’espèce dominante, et les singes des animaux de cirque. Malgré la fascination mutuelle entre les singes et les hommes, les prémisses d’un affrontement sont affichés, d’autant plus que Cornelius et Zira donnent naissance à César, un jeune chimpanzé qu’ils considèrent comme le messie qui mènera son espèce à la révolte. Les Évadés, de la même manière que la saga Terminator qui arrivera quelques années plus tard, fait l’effet d’un paradoxe temporel : remonter le temps pour modifier le futur. Avec Cornelius et Zira, une première histoire s’achève. Avec César, une autre commence : celle d’une révolte.
C’est cette promesse d’une révolte qui rythme le quatrième et avant-dernier film de la saga : La Conquête de la Planète des Singes, sorti en 1972. Alors située en 1991, l’histoire accorde un nouveau statut aux singes : ils sont désormais des animaux de compagnie suite à l’extinction des chiens et des chats. Le fils de Cornelius et Zira, désormais prénommé César, est à l’écart de ce traitement qu’il ne manquera pas de découvrir. Il mène alors une révolte en apprenant à ses semblables le sens du partage et de la cohésion. Vous l’aurez compris, ce quatrième film de la saga est celui qui se rapproche le plus du reboot sorti en 2011, Les Origines. C’est aussi la première fois dans la saga qu’un film capte en temps réel les dessous de la révolte des singes, vaguement abordée dans les deux premiers films et esquissée dans le troisième.
La Conquête, le plus violent de tous les films de la saga, accouche également d’une version censurée dans laquelle une scène de massacre d’un sénateur américain a été coupée au montage. Le long-métrage est également marqué par un discours final prononcé par César qui scelle définitivement le sort des humains dans une planète qui, désormais, ne leur appartient plus. Ambitieux dans son récit mais contraint par des coûts de productions en baisse, La Conquête ne fait pas mieux au box-office que ses prédécesseurs.
La suite directe est La Bataille de la Planète de Singes, sorti en 1973. Vingt-sept ans après les événements de La Conquête, César est le chef des primates, obligés de cohabiter avec les humains. La relation est paisible entre les deux clans, mais un gorille du nom d’Aldo est hostile à cette cohabitation, et César voit d’un très mauvais œil l’arrivée d’un nouveau groupuscule d’humains optimisés. Aldo tue Cornelius, le fils aîné de César, et profite de l’attaque de la tribu humaine pour renverser son chef primate. César part à la conquête du meurtrier de son fils et défends corps et âmes son territoire.
Là encore, La Bataille est une inspiration pour les deux films réalisés par Matt Reeves, L’Affrontement et Suprématie : la tentative de coup d’état et l’assassinat du fils à César y sont reproduits. La Bataille est souvent considéré comme le film de trop, puisque la Fox envisageait de clôturer la saga avec La Conquête, lequel permettait de boucler la boucle et de rejoindre le film de 1968. Outre l’affrontement entre les humains et les singes, le film est le premier aperçu de la faillibilité des singes dans la saga, au même titre que les humains. Leur cohésion repose sur le respect d’autrui : un singe ne doit pas tuer un singe, mais cet équilibre est fragile. Dans la lignée des films précédents, La Bataille réalise des scores moindres au box-office, ce qui incitera la Fox a achevé définitivement la saga.
https://youtu.be/-_I3tFc_0lE?t=6m8s
2001 – 2017 : le renouvellement
Après avoir récolté plus de 160 millions de recettes à travers le monde, la saga est en plein stand-by : dix-huit années passent sans la parution d’un seul film. C’est donc en 2001 que La Planète des Singes renaît au cinéma avec un reboot mis en scène par Tim Burton dont la mission est de renouveler l’univers sans faire l’effet d’un remake du film de 1968. Burton modifie les noms des personnages et contextualise son histoire sur une autre planète – ce qui est fidèle au roman de Boulle. Malgré un budget égal à cent million de dollars, le film est un fiasco artistique et économique : il est considéré comme le pire film de la saga jamais réalisé. Ce qui compliquera les plans de la Fox : la société est obligée d’abandonner ses projets de suite.
La Fox ne désespère pas pour autant et reprend ses travaux : elle dévoile en 2011 un reboot total de La Planète des Singes avec Les Origines, réalisé par Ruppert Wyatt. Le film revisite complètement le mythe de Pierre Boulle et s’inspire de La Bataille pour décrypter davantage les prémisses du renversement des humains par une armée de primates. Le récit suit les aventures d’un jeune scientifique incarné par James Franco qui travaille sur un remède contre la maladie d’Alzheimer. Il adopte un singe orphelin suite au décès prématuré de sa mère : il le prénomme César. Doté de capacités intellectuelles sur-développées notamment grâce aux injections de l’antidote finalisé par son maître, César, devenu jeune adulte, est vite rattrapé par ses conditions de « singe en lesse » et se retrouve enfermé dans un centre d’enfermement pour singes. Il transmet à ses compagnons de cellules l’antidote que lui a injecté son ancien maître, aspire le respect et mène une révolte au coeur de San Francisco.
Alors que Le Secret de la Planète des Singes s’acharnait à donner une explication nucléaire à la tragédie qui a ravagé l’humanité sur Terre, Les Origines met en scène non seulement l’échec d’un procédé scientifique, mais aussi l’émergence d’un véritable héros en la présence de César pour développer le mythe. Introduit comme le véritable chef des armées des primates, César incarne une figure héroïque inédite dans la saga : tout (ou presque) repose sur ses épaules. Son charisme est aussi le fruit du réalisme saisissant de la motion capture, cette technique de prise de vue virtuelle qui permet de faire glisser un acteur dans la peau d’un personnage entièrement numérisé. Et c’est Andy Serkis, le père de la motion capture et remarqué pour son rôle de Gollum dans l’autre trilogie Le Seigneur des Anneaux, qui prête ses traits au personnage de César. La souci de réalisme étant déjà une vertu dans le film de 1968, il est intéressant de constater l’héritage réaliste qui parcourt la saga, d’autant plus que Les Origines est bourré de références du film d’origine. Comme quoi, outre cette postérité qui offre la perspective d’un renouvellement de l’univers, le réalisme reste une préoccupation artistique importante au fil des années.
C’est avec Matt Reeves que la Fox poursuit sa relecture de La Planète des Singes. En 2014 sort L’Affrontement, drame shakespearien à la dimension politique immense et porté une fois encore par une motion capture exceptionnelle de réalisme. César est désormais le chef d’une société exclusivement composée de singes, retranchés dans la forêt de San Francisco. L’apparition d’un groupe d’humains l’oblige à cohabiter avec eux, mais son bras droit Koba, né dans la violence de son élevage auprès des hommes, n’adhère pas à la décision de son chef : il le trahit et mène l’affrontement contre les humains. Comme dans La Bataille, le film montre un affrontement entre les singes et les humains qui résulte de la fragilité des deux camps, bousculés l’un comme l’autre par les trahisons et les mensonges. Il est également un virage artistique important pour la saga : la caméra inspirée de Matt Reeves dessine un univers sombre à mi-chemin entre le film de guerre et le drame post-apocalyptique.
C’est en toute logique que le réalisateur rempile pour le dernier volet de cette trilogie moderne. Avec Suprématie, la trilogie-reboot de La Planète des Singes s’affirme comme l’une des meilleurs jamais réalisées depuis The Dark Knight – également sujette à une renaissance, celle du Batman. Suprématie boucle la boucle avec intelligence : ses références (Apocalypse Now, Le Pont de la rivière Kwaï) et son propos politique le subliment, sans oublier la performance magistrale d’Andy Serkis qui, pourquoi pas, peut espérer une nomination aux Oscars 2018 – ce qui serait une première dans l’histoire de la motion capture.
Cette trilogie est une conclusion quasi-parfaite pour la saga La Planète des Singes. Par sa postérité au fil du temps, elle aura marqué l’histoire de la science-fiction au cinéma, malgré l’inégalité de sa filmographie, partagée par des must-see (le film de 1968, la trilogie moderne) et des navets franchement évitables (La Bataille, le film de Burton). Pas toujours inspirée, oui, mais La Planète des Singes détonne pour son propos à la fois politique et dramatique, récemment sublimé par un héros moderne qui n’est autre que César. Un roman et neuf films plus tard, La Planète des Singes reste l’une des inventions humaines les plus influentes de sa génération.
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