Un bandeau ouvre Rize, le premier film de David LaChapelle. Il y est sobrement indiqué que les images projetées n’ont été, en aucune façon, accélérées. De la part du roi de la retouche et des couleurs saturées, du photographe engagé, à l’âge de 18 ans, par Warhol himself pour le magazine Interview et passé, dix […]
Un bandeau ouvre Rize, le premier film de David LaChapelle. Il y est sobrement indiqué que les images projetées n’ont été, en aucune façon, accélérées. De la part du roi de la retouche et des couleurs saturées, du photographe engagé, à l’âge de 18 ans, par Warhol himself pour le magazine Interview et passé, dix ans plus tard, dans le monde du vidéoclip, ce soudain retour au réalisme ontologique a de quoi surprendre. D’autant que si les images de Rize ne sont pas accélérées, elles ne cessent pas, pour autant, d’être largement traficotées. Mais cet avertissement solennel dit bien, malgré tout, quelque chose d’une croyance nouvelle la certitude du réalisateur d’avoir enfin trouvé, à 36 ans, son véritable sujet.
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Rize n’est pas simplement, en effet, un documentaire sur une nouvelle danse de rue, le « krump », particulièrement physique et guerrière. C’est aussi le portrait de toute une série de jeunes gens et, plus particulièrement, d’un homme, Tommy le Clown, à la fois danseur de hip-hop extravagant et saint des quartiers dont les cours ont permis à de nombreux enfants d’échapper à la vie de gangsters.
Or, jusqu’à présent, l’ uvre de LaChapelle se séparait en deux tendances opposées d’un côté, la vulgarité multicolore de la rue Can Hold Us down de Christina Aguilera, Loverboy de Mariah Carey), de l’autre, la spiritualité la plus éthérée (The Voice Within de la même Aguilera, Natural Blues de Moby). Avec Tommy, le réalisateur réussit, pour la première fois, à ramasser ses deux orientations en une seule figure, qui plus est politique.
Fort de cet accomplissement inattendu, et alors que les éditions Taschen s’apprêtent à lui consacrer un livre- somme, Artists and Prostitutes (1985-2005), LaChapelle reçoit ses invités au sommet de sa forme : en diva dépressive et jet-laguée, multipliant les déclarations flamboyantes et les piques acerbes (« Jessica Simpson devrait être bannie de cette planète »). Pour prouver son amour du gospel, il n’hésite même pas à se lancer dans l’interprétation a capella de Hello God de Dolly Parton : « Hello, God/Are You out There / Can You Hear Me /Are You Listenin’ Any More «
ENTRETIEN Comment est né le projet de Rize ?
David LaChapelle J’étais en train de tourner une vidéo pour Christina Aguilera. Il y avait plus de trois cents figurants attendant dans une salle et j’ai aperçu ces deux gamins en train de danser comme je n’avais jamais vu personne le faire. Le soir même, après le tournage, je suis allé dans leur quartier, le ghetto de South Central à Los Angeles, et j’ai su aussitôt que j’allais en faire un film. C’était si incroyablement nouveau.
Mais, quand j’ai commencé à tourner, c’est, de plus en plus, l’histoire de leurs vies derrière qui a commencé à m’intéresser. Les ghettos aux Etats-Unis sont coupés de tout. Il n’y a pas d’infrastructure, pas de service social, personne ne s’occupe de ces enfants. C’était vraiment impressionnant de voir qu’ils avaient inventé tout cela par eux-mêmes, sans suivre de cours et sans rien connaître aux danses africaines. Il n’y a pas à avoir peur des ghettos. Des gens très gentils et très créatifs y habitent, qui sont simplement opprimés par le système. Je n’ai moi-même découvert toutes ces choses qu’en faisant le film.
Comment s’est passé le tournage ?
Il s’est étalé sur trois ans. Comme j’ai entièrement financé le film sur mes fonds personnels, j’alternais les commandes extérieures et le tournage de Rize. L’équipe variait entre deux et dix personnes environ. Les deux premières années, nous étions très peu nombreux, parfois juste mon directeur de la photographie et moi. Ce n’est pas un clip vidéo, je voulais que la caméra soit le plus fixe possible parce que, ce qui comptait, c’était ce qui était filmé. De même, je n’ai pas fait le montage en suivant la musique, comme pour un clip, mais en suivant le rythme de la danse. Je cherchais avant tout à rendre leur récit de la façon la plus authentique. Je voulais aussi que le film soit le plus positif et énergique possible, parce que c’est l’effet que produit une session de krump.
Connaissiez-vous bien la culture noire ?
Grâce à mes parents, j’ai toujours connu des gens de cultures très différentes. Adolescent, j’habitais à New York et j’allais déjà au Fun House voir le Rock Steady Crew ou écouter Afrika Bambaataa quand il était DJ au Roxy. Je n’ai pas découvert le breakdancing à la télévision mais en regardant Crazy Legs, qui était le parrain du mouvement et avec qui je suis devenu ami. A l’époque, j’essayais déjà d’être photographe mais je ne prenais pas encore de clichés des danseurs. Je travaillais chez moi en studio sur des photos très simples en noir et blanc. Je continue encore aujourd’hui de travailler avec les artistes graffitis de cette époque. Quand j’ai vu les premières sessions de krump, j’ai retrouvé les mêmes sensations, la même excitation, qu’à l’époque de la breakdance.
De quelle façon conciliez-vous le travail de photographe et celui de réalisateur ?
J’ai toujours voulu être un réalisateur de films. La photographie me semblait être le moyen le plus simple et plus accessible pour entrer dans cet univers. A 16 ans, tout le monde peut prendre une photo et la faire développer. Puis, très rapidement, c’est devenu ma carrière. Et, à un moment, je me suis dit : « Attends un peu, ce n’était pas ce que tu voulais faire au départ », et j’ai commencé à tourner des vidéoclips et, par ce biais, à raconter des histoires.
De toutes les façons, j’ai toujours considéré mes photos comme des instantanés cinématographiques, comme des scènes extraites d’un film. J’adore aussi la rapidité de la photographie : vous prenez une photo un jour et, la semaine d’après, elle est dans un magazine. Rien ne peut remplacer cette gratification immédiate.
Je ne peux pas penser faire un autre film en ce moment. Je suis en pleine dépression postnatale, comme Brooke Shields. J’espère que Tom Cruise et la scientologie pourront m’aider parce que je ne voudrais pas tomber dans la drogue (rires). Je plaisante mais je suis aussi très sérieux. Je ne sais vraiment pas si je retrouverai un sujet qui compte autant pour moi. Combien de fois cela arrive-t-il dans une vie ? Si je ne devais plus faire d’autres films après Rize, cela me conviendrait. J’en aurais peut-être encore envie mais je n’en ai plus besoin. Une partie de la critique américaine voulait détester le film à cause de ma réputation de photographe de célébrités : « Qu’est-ce que ce Blanc riche pourrait comprendre à South Central ? » Mais même les journalistes très à gauche du Village Voice ont changé d’avis parce qu’il ne s’agit pas de moi, ici, et que le film parle pour lui-même.
Pouvez-vous citer vos films favoris ?
Mon dernier coup de c’ur est Before Night Falls de Julian Schnabel. Et, parmi les classiques, il y a des films comme Cabaret de Bob Fosse ou Drugstore Cowboy de Gus Van Sant, les uvres de Fellini ou De Sica. J’adore les vidéos de Michel Gondry ou de Spike Jonze mais j’avoue que j’ai plus de mal à distinguer leurs films. Pour moi, ce sont avant tout les uvres du scénariste Charlie Kaufman.
Quel est votre rapport à la culture populaire ?
La culture populaire m’a toujours passionné. Photographier Pamela Anderson, comme je viens de le faire, m’intéresse parce que son corps est du pop art vivant un idéal californien, une sorte de perfection moderniste, la robe, les cheveux, les dents, la peau. Pour moi, c’est du Rosenquist (l’un des chefs de file du mouvement pop américain ndlr).
Etre un artiste pop, comme j’essaie de l’être, inclut aussi le fait que mon travail doit toucher la population. Une uvre, selon moi, n’est pas finie tant qu’elle n’a pas commencé son parcours dans le monde, et cela fait précisément partie de mon travail de faire en sorte que mes productions soient vues à la télévision ou publiées. J’ai des propositions de très nombreux groupes pour réaliser des clips, mais je ne les accepte pas, même si la chanson est bonne, quand je sais que le résultat ne passera pas sur MTV.
Travailler avec Britney Spears, c’est d’abord l’assurance que ton travail sera vu à la télévision. Bien sûr, cela comporte des contraintes, tu dois satisfaire les besoins de la star, la rendre aussi belle que possible. Mais, ensuite, tu es libre de twister la commande, de la rendre personnelle grâce à l’histoire que tu choisis de raconter. Et si certains artistes comme Madonna discutent beaucoup du scénario, d’autres, comme Gwen Stefani, la chanteuse de No Doubt, acceptent d’entrée le concept et te laissent ensuite toute liberté. ||
Rize de David LaChapelle, avec Tommy the Clown, Larry, La Nina, Dragon, Miss Prissy (1 h 24).
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