D’Iggy Pop à Pulp, quelques voix admirables ont chanté, sur ordre du compositeur anglais David Arnold, les thèmes historiques de James Bond. Pris au jeu, il signe aujourd’hui la BO des nouvelles aventures pyrotechniques de 007 et joue son meilleur rôle : l’homme invisible, totalement caché derrière ses musiques.
On a entendu parler la première fois de David Arnold alors que Björk, à la veille de révéler son premier album solo Debut, sortait un mystérieux single à la musique tragique et précieuse, Play dead. Sur la pochette, Björk et David Arnold étaient écrits dans les mêmes caractères et sur le même plan. On ignorait alors s’il s’agissait d’un duo, d’une collaboration ou d’une fausse piste ouverte par l’Islandaise, alors en devenir. La pochette avait beau indiquer que la chanson était extraite de The Young Americans, où jouait Harvey Keitel, personne n’avait entendu parler du film.
Quatre ans plus tard, le nom de David Arnold n’a pas été oublié, même s’il est toujours nébuleux. Depuis, ce trentenaire anglais n’a pas perdu son temps. Un amour sans égal pour James Bond, John Barry et les musiques de film en général, plus quelques rencontres décisives, ont fait de David Arnold un citoyen d’honneur des usines d’Hollywood. Accroché fermement à un rêve (américain) d’enfant, il a ainsi composé les musiques de Stargate et Independence Day. La tête froide et sur les épaules, Arnold a alors pu profiter de sa renommée naissante pour faire chanter ses amis : obsessif, c’est en hommage à John Barry qu’il a lustré les arrangements de Shaken and stirred, album de reprises de thèmes de James Bond par la fine fleur de la pop anglo-saxonne. Un curieux défilé de mode où Arnold tailla du sur-mesure pour des carrures aussi diverses que LTJ Bukem, Iggy Pop, Pulp, Martin Fry (ABC), David McAlmont, Shara Nelson ou les turbulents Propellerheads. Parti de 007 pour finalement y revenir, David Arnold vient de réaliser la musique de Demain ne meurt jamais, dernier James Bond en date. Ultime consécration.
A quand remonte cette passion pour les musiques de film ?
A 7 ans, j’ai vu mon premier James Bond, On ne vit que deux fois. C’était au cours d’une fête pour enfants, où quelqu’un a dû penser que ce serait une bonne idée de passer un James Bond. Bonne intention, sauf que le film commence par un plan de James Bond au lit en train de faire l’amour avec une Japonaise. Ensuite, il se fait tuer, on le jette à la mer, puis on voit une espèce de vaisseau spatial dans le ciel. Vient le générique avec un tas de femmes nues en train de danser. Quand on est un petit garçon, on trouve ça plutôt sympa. La combinaison de toutes ces choses que je n’avais jamais vues auparavant m’a très fortement marqué. Ma mère a gardé un de mes anciens cahiers d’école dans lequel j’avais répondu à la question « Que voudras-tu faire plus tard ? » J’avais dit, déjà à l’époque, que je voulais être un musicien ou un acteur. En écrivant des musiques de film, j’essaie un peu de combiner les deux. Après, je suis allé voir tous les James Bond à leur sortie. Jusqu’à Moonraker, jusqu’à ce qu’ils deviennent complètement tirés par les cheveux. Quand tout a commencé à se passer dans l’espace, quand c’est devenu beaucoup trop fantastique, je m’en suis désintéressé un peu. Mais je faisais quand même toujours attention à la musique, parce qu’une BO de James Bond, sa chanson-titre, était à chaque fois un événement. Je me demandais qui allait s’y coller, si elle allait être aussi puissante et irradiante que Goldfinger ou Diamonds are forever.
Comment un adolescent devient-il un admirateur acharné de John Barry ?
Ma vraie admiration pour John Barry est survenue un peu plus tard. Le punk est arrivé quand j’avais 14 ans, je ne répondais alors qu’à des pulsions viscérales, physiques. Je n’avais pas le temps de réfléchir à la musique. Je suis venu à des choses plus calmes après, en vieillissant, j’ai compris qu’en fait, j’étais complètement imbibé de musiques de film. J’ai laissé tomber la guitare et j’ai commencé à m’intéresser au piano. J’ai réalisé que la musique, ce n’était pas seulement des braillards ivres morts.
Quand as-tu commencé à composer ?
Il y avait toujours de la musique dans notre maison. Le dimanche matin, j’étais au lit et j’essayais de dormir et mon père mettait la radio à fond la caisse. On entendait Tchaïkovski ou Debussy dans toute la maison. C’est ce genre de choses qui a donné une texture, une épaisseur à ma musique. Quand j’ai compris que ma vocation était la musique, mon père m’a acheté une guitare et une clarinette. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent, mais ils se décarcassaient pour moi. Après, je devais leur prouver que je méritais cette confiance et ces investissements.
Pourquoi écrire des musiques de film ?
Les trois premiers films que j’ai vus étaient On ne vit que deux fois, Oliver, une comédie musicale fabuleuse, et Le Magicien d’Oz, trois films qui ne tiendraient pas debout sans musique. De nos jours, il n’y a pas beaucoup de place pour un compositeur qui écrit autre chose que de la pop-music. Le monde de la musique classique est très conservateur et a des normes pour décider qui est un artiste classique et qui ne l’est pas. Il faut avoir un cursus académique que je n’ai pas pour être admis dans le cercle. La musique de film est donc le seul endroit où l’on peut écrire des musiques originales susceptibles d’être écoutées par des millions de gens et jouées par des orchestres.
Ton parcours a donc été accidenté ?
J’ai fait un tas de petits boulots, sans jamais m’y intéresser. Je suis même resté quatre ans chez un fabricant d’articles de sport. Je n’avais pas le courage d’arrêter pour me lancer dans la musique à plein temps. Je ne savais pas par quel bout commencer, qui il me fallait rencontrer, comment on entrait en contact avec une maison de disques. En 86-87, je suis allé aux Etats-Unis pour la première fois, j’étais à Los Angeles et je suis allé rôder vers les studios de cinéma. Je me suis rendu compte que c’était une vraie ville pleine de gens qui faisaient exactement ce qu’ils rêvaient de faire. C’est là que j’ai pris la décision de faire, moi aussi, ce dont j’avais envie. Je suis rentré en Angleterre, j’ai quitté mon job, je me suis débarrassé de tout ce que j’avais, je suis retourné habiter chez mes parents et je me suis mis à faire de la musique comme un dingue. Il m’a fallu sept années pour y arriver.
Quels ont été tes premiers contacts avec l’industrie du film ?
J’allais souvent au centre culturel de Luton, la petite ville industrielle au nord de Londres où j’ai grandi. Dans une petite pièce sous les combles, on pouvait faire de la vidéo en VHS. J’y croisais toujours un type, Danny Cannon. On a fini par parler, il voulait devenir réalisateur. On a commencé à travailler ensemble, on se voyait le week-end et on se filmait en train de marcher de manière affectée sur des collines. En deux ans, on a fait une vingtaine de petits films de cette espèce. Danny les a envoyés à l’école nationale de cinéma et a été accepté comme étudiant réalisateur. Il a continué à me demander d’écrire ses musiques. Quand il a fini ses études, il a réalisé un long métrage, The Young Americans, et m’a fait faire la musique. J’ai alors enregistré Play dead avec Björk qui a accepté le projet sans hésiter, elle n’avait encore rien fait en solo pour ce film. La personne qui possédait les droits de ce film détenait également ceux de Stargate et m’a proposé d’y travailler. Les producteur et réalisateur de Stargate étaient également producteur et réalisateur d’Independence Day et m’ont demandé de refaire une BO pour eux. J’ai décroché un Grammy Award pour celle-ci. Mais ça ne m’affecte pas plus que ça, je ne suis pas un homme public et je n’aimerais pas l’être. J’ai travaillé dans le même studio qu’Oasis. Je sortais tous les soirs par la porte principale, il y avait chaque fois six ou sept reporters, certains me suivaient jusque chez moi pour m’interroger sur les Gallagher. Je préfère être anonyme, passer devant un magasin et entendre qu’on joue une de mes musiques à la radio, sans que personne ne sache qui je suis. J’aime être invisible. C’est une existence un peu solitaire que de travailler sur un film. On travaille dans une minuscule pièce avec un clavier et un magnétoscope, c’est la seule compagnie qu’on ait pendant quatre ou cinq mois. C’est plutôt ennuyeux, pas très glamour. Les seuls trucs marrants, c’est de rencontrer des gens célèbres et d’assister aux avant-premières.
Comment t’est venue l’idée de Shaken and stirred, cette compilation de reprises de thèmes de James Bond ?
En Angleterre, les James Bond passent très fréquemment à la télévision, surtout pendant les vacances scolaires. Ils font partie de la maison, presque de la famille. Quand j’ai travaillé avec Björk et David McAlmont, avant la naissance de ce projet, j’ai pensé que ça serait génial que ces deux-là reprennent les thèmes de 007. Sur la compilation, j’ai à peu près tout fait sauf le chant : j’ai choisi les groupes, retravaillé les arrangements, produit. Certaines personnes se sont plus impliquées que d’autres. Quand j’avais affaire à des chanteurs uniquement, comme Natacha Atlas, Martin Fry, David McAlmont ou Iggy Pop, j’ai tout fait, ils se sont contentés d’arriver et de chanter. Pulp voulait être plus impliqué. Jarvis Cocker a joué de la guitare et de la basse. Sinon, j’ai donné aux participants des directions artistiques poussées, mais qui à mon avis leur correspondaient. Une fois enregistrés, je n’ai pas touché aux morceaux. Seul celui d’Iggy Pop a été retravaillé. La première fois qu’il l’a interprété, il a chanté d’une façon très forte, très dure et moi j’avais en tête un morceau triste, sous-exposé, tranquille. On a fini par refaire la chanson assis par terre dans la pénombre d’un studio. Je lui ai dit de chanter aussi tranquillement que possible, comme un soliloque. J’ai essayé de contacter Abba, de les faire revenir sur le devant de la scène pour faire L’Homme au pistolet d’or, mais ils n’ont pas voulu. J’avais demandé à Nick Cave mais il m’a répondu qu’il détestait James Bond. Björk était très enthousiaste à l’idée de reprendre On ne vit que deux fois. On a commencé à travailler à Paris, puis en Islande. Six mois plus tard, on a enregistré la voix en trois heures, c’était extraordinaire. Mais elle m’a appelé en me disant que finalement elle n’aimait pas son chant. On a dû enlever sa reprise du disque.
Est-ce une récompense pour toi que de signer la musique du nouveau James Bond ?
John Barry a créé le son James Bond et, à mon avis, il est responsable à 50 % du succès des films. Je connais tout de lui, c’est un génie, un dieu, je l’idolâtre. Quand on m’a proposé la musique de Tomorrow never dies, je me suis demandé comment je pourrais lui succéder dignement. J’ai appelé John Barry et lui ai demandé ce qu’il en pensait. Il m’a dit que je devais bien évidemment accepter, m’a donné sa bénédiction en affirmant que j’étais son successeur naturel. J’ai alors décidé de le faire à la façon d’un fan de James Bond, sans essayer de redéfinir ce que Barry a fait. Pour Goldeneye, les producteurs ont travaillé avec Eric Serra et c’est ce qui s’est passé. Ce n’est pas la peine de trafiquer ce qui est au point. C’est comme si on changeait l’image du James Bond que l’on connaît en James Bond à moustache et longs cheveux : ça ne serait plus James Bond.
David Arnold Tomorrow never dies (Polydor).
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