Dark city est à ce jour la retranscription cinématographique la plus exacte de l’univers de Philip K. Dick. Affirmation paradoxale, puisque Dark city est un scénario original et qu’il est réalisé par Alex Proyas, jeune metteur en scène venu du clip dont on n’attendait rien de bon après The Crow. Mais dès son second film, […]
Dark city est à ce jour la retranscription cinématographique la plus exacte de l’univers de Philip K. Dick. Affirmation paradoxale, puisque Dark city est un scénario original et qu’il est réalisé par Alex Proyas, jeune metteur en scène venu du clip dont on n’attendait rien de bon après The Crow. Mais dès son second film, Proyas joue avec une certaine esthétique des années 90 fondée sur l’amour du factice. L’oeuvre emblématique de cette tendance serait La Cité des enfants perdus de Caro et Jeunet, cet « échec de cinéma » proche par certains aspects de Dark city. Mais la réussite indéniable de Proyas consiste à problématiser les reproches évidents adressés à ce genre de films, que l’on pourrait désigner sous le terme générique de « cinéma visuel », et qui accorde une trop grande importance au décor, aux effets spéciaux, au détriment d’une histoire inexistante. En effet, dans Dark city, le décor est le film. En filmant cette histoire très proche d’Ubik, le fameux roman de K. Dick où la réalité devient indiscernable, perdue parmi les possibilités de mondes virtuels, Proyas échafaude une ville-film qui est elle-même construite par ses habitants. Cela peut sembler confus. C’est au contraire d’une logique délirante, car le scénario va jusqu’au bout de sa folie. Sachez seulement que le héros du film, amnésique et accusé de meurtre, poursuivi par des êtres monstrueux dans une ville lugubre où le soleil ne se lève jamais, se découvre un don extraordinaire appelé « harmonisation » qui lui permet de modifier par la pensée le décor qui l’entoure. Ce « morphing » à volonté apparaît comme l’application à la lettre d’un point de non-retour de l’imagination sans entrave. Dark city nous montre que, derrière le décor, il n’y a rien ! On pense aussi à Kafka étonnante richesse d’un film qui fait le point sur le cinéma visuel en puisant ses sources d’inspiration dans la littérature. C’est angoissant, théorique et émouvant : dans cette ville où le temps s’est arrêté, seul le héros se remémore des bribes de souvenirs d’enfance, perçus comme le lien perdu avec la vérité. Et la réalité. Ce film sur l’amnésie n’est pas amnésique : son univers de faux-semblants renvoie aussi bien au caligarisme qu’aux comic strips. A la fois film bilan d’une génération, thriller métaphysique et rêverie poétique, Dark city est surtout un classique instantané de la science-fiction.
Olivier Père
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