Elle fut la muse de Dario Argento, le visage du cinéma horrifique italien des années 1970, a joué chez Mario Bava ou Ettore Scola. La comédienne Daria Nicolodi est morte ce jeudi 26 novembre à l’âge de 70 ans. Retour sur sa vie, entre réalité et fiction.
La dernière fois qu’on a vu Daria Nicolodi sur grand écran, c’était en 2007 dans La Troisième Mère, film mineur (pour ne pas dire raté) de son ex-compagnon Dario Argento. Elle y incarnait un fantôme. Aussi bancal soit-il, La Troisième Mère marquait la réunion entre Daria, Dario et leur fille Asia Argento dans un même film ; comme le testament déguisé d’une longue saga familiale, aussi belle que tempétueuse, dont Daria Nicolodi – dont nous reviennent immédiatement la silhouette déliée, le sourire mutin et le regard profondément mystérieux – fut longuement l’insaisissable égérie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Egérie
Née à Florence en 1950 au sein d’une famille bourgeoise et lettrée dont elle chercha à s’extirper par la fugue, Daria intègre l’Académie des Arts Dramatiques de Rome à l’âge de 17 ans. Elle débute au cinéma trois ans plus tard dans Les Hommes contre (1970), film historique de Francesco Rosi dans lequel elle incarne une infirmière durant la Première Guerre mondiale. En 1973, elle joue dans La propriété, c’est plus le vol de Elio Petri, dont l’influence lointainement expressionniste donne la première mesure de son talent pour figurer l’effroi.
C’est en 1975, peu de temps après sa rencontre avec Dario Argento, l’amour de sa vie, qu’elle commence à s’imposer sur les écrans. Daria et Dario donnent naissance au milieu des années 1970 à un cinéma d’horreur italien fantastique et baroque, héritier des gialli de Mario Bava (avec lequel Daria collabore en 1977 dans Les Démons de la nuit). Au formalisme sanglant et au fétichisme vaporeux du giallo, s’ajoutent des visions cauchemardesques, déambulations fiévreuses à demi-rêvées, peuplées d’insectes rampants et de sorcières inquiétantes, placées sous l’égide d’Edgar Allan Poe, et hantées par les fantômes de l’expressionnisme allemand.
Tour à tour tête d’affiche (Les Frissons de l’angoisse en 1975, Ténèbres en 1982), second rôle (Inferno en 1980, Phenomena en 1985, Opera en 1987) et co-scénariste (Suspiria en 1977), Daria Nicolodi a participé aux plus grands films d’Argento, et prêté à l’œuvre de son ex-compagnon son inégalable présence, entre incandescence et retenue, sa féminité hors-cadre, plus androgyne que femme fatale, et une façon singulière d’exhaler le mystère, comme pour donner corps à l’énigme métaphysique que tisse secrètement le cinéma d’horreur argentien.
>> A lire aussi : Rétrospective Dario Argento: l’été de toutes les peurs
Une affaire de famille
De la relation amoureuse, familiale et professionnelle qui unit Daria et Dario pendant dix ans, leur fille Asia Argento livre quelques indices. Dans Scarlet Diva (2000), son premier long-métrage derrière la caméra, en partie autobiographique, elle raconte la trajectoire sulfureuse d’une jeune femme auto-destructrice, qui exorcise son mal-être dans la drogue, le sexe et les excès, avant de tenter de le conjurer par l’art, en devenant réalisatrice. Daria Nicolodi y incarnait… la mère de l’héroïne. Dans son dernier film en date, L’Incomprise (2014), elle racontait les déboires d’Aria (véritable prénom d’Asia), une gamine dont les parents, artistes célèbres, s’adonnent à d’orageuses et déchirantes scènes de ménage. Un enfer familial creusé par les névroses d’un père maladivement paranoïaque et les errances amoureuses d’une mère qui enquille les amants, dont on décèle (bien qu’Asia Argento s’en défende) l’aspect hautement autobiographique. Si Daria Nicolodi n’occupait cette fois pas le rôle de la mère, il revenait à Charlotte Gainsbourg (autre fille d’artistes), dont les attributs célèbres (l’allure vaguement androgyne, l’air tantôt mutin, tantôt mutique) ne sont pas sans rappeler ceux de Daria.
Dans un texte posté sur Instagram, Asia Argento a rendu un hommage émouvant à sa mère : “Repose en paix maman chérie. A présent, tu vas pouvoir voler librement avec ton grand esprit et tu n’auras plus à souffrir […] Même si, sans toi, la terre se dérobe sous mes pieds, et que j’ai l’impression de ne plus avoir mon unique point de repère. Je m’associe à tous ceux qui l’ont connue et aimée. Je serai pour toujours ton Aria, Daria.”
La vie de Daria Nicolodi aura longuement tenu sur un fil entre fiction et réalité : jouant dans les films de son compagnon, incarnant la mère du double fictif de sa fille. Pour écrire le scénario de Suspiria, elle disait s’être inspirée du souvenir de sa grand-mère qui lui racontait souvent comment, enfant, elle avait été inscrite à une académie de piano de laquelle elle s’était échappée en découvrant qu’on y enseignait en réalité la magie noire. Cette école existerait toujours, quelque part entre la Suisse et l’Allemagne. Peut-être l’esprit de Daria Nicolodi ira t-il flâner dans ce lieu tenu secret, aussi mystérieux et insaisissable que les lueurs qui animaient ses yeux.
>> A lire aussi : Asia Argento: folle rencontre à Rome
{"type":"Banniere-Basse"}